Les enseignements du premier test de résistance climatique européen
Un article de Marc Irubetagoyena, Head group stress testing, BNP Parisbas, paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »
Le changement climatique fait peser des risques conséquents sur l’économie, notamment de dégradation des infrastructures, de destruction des cultures, de renchérissement des matières premières et des produits alimentaires… Les risques climatiques sont un sujet important pour le superviseur bancaire dans la mesure où ils sont susceptibles d’avoir un impact sur la santé financière des banques et leurs fonds propres.
Au premier semestre 2022, la BCE (Banque Centrale Européenne) a réalisé le premier test de résistance climatique auprès de 109 grands établissements de la zone euro. La finalité de ce « stress test » est à vocation « pédagogique » pour les banques et les superviseurs. Le test, qui fait partie de la feuille de route sur le climat de la BCE, n’est pas un exercice portant sur l’adéquation des fonds propres bancaires.
Un exercice de qualité
La BCE a mené un test de résistance portant sur les risques climatiques afin d’évaluer l’état de préparation des banques face aux chocs financiers et économiques que ces risques sont susceptibles de provoquer. Ce test est l’occasion de recenser les vulnérabilités et les meilleures pratiques des établissements de crédit en matière de gestion des risques climatiques. Il évalue aussi bien les risques physiques, comme la canicule, la sécheresse et les inondations, que les risques découlant de la transition vers une économie plus verte.
BNP Paribas salue la qualité du travail réalisé par les équipes de la BCE, en particulier en termes de collecte de l’information, de méthodologie et de conduite de l’exercice avec un péri- mètre ambitieux.
Une communication décevante
Le 8 juillet 2022, la BCE a indiqué que 41 grandes banques de la zone euro pourraient subir une perte d’au moins 70 milliards d’euros dans le cas d’un scénario de sévère remontée des températures. Andrea ENRIA, président du Conseil de surveillance de la BCE, a estimé que les banques de la zone euro devaient intensifier leurs efforts pour mesurer et gérer le risque climatique et combler les lacunes en matière de données.
La communication finale de la BCE a provoqué une déception auprès des banques ayant participé au « stress test » climatique compte tenu du temps, de l’investissement et de l’énergie consacrés à cet exercice. Le chiffre de 70 milliards d’euros correspond en réalité à un résultat global en agrégeant des scénarios et des horizons de temps différents.
Un impact sous-estimé
Lors du prochain « stress test » climatique en 2024, l’EBA pourrait porter l’ambition de basculer vers une communication banque par banque. Il faudra alors des résultats plus crédibles, susceptibles d’être expliqués au grand public. BNP Paribas partage la dynamique d’analyse du « stress testing » et le besoin de constituer un dispositif robuste de simulation. Mais beaucoup d’outils sont encore à l’état de conception.
Les scénarios actuels sont essentiellement macro-économiques et ils reposent sur une transition réussie ou sur une absence d’effort de transition. Ils sont par ailleurs calibrés sur l’affalement des émissions de carbone mais ne prennent pas ou peu en compte les autres contraintes, par exemple les ressources naturelles rares. Si les scénarios de changement climatique se passent mal, les conséquences sur les crédits des banques seront nettement supérieures à ce qui a été évalué jusqu’à présent. Il est nécessaire de travailler sur des scénarios plus précis quant aux modalités de réalisation concrète de la transition, mais aussi plus sévères quant aux revers de trajectoire possibles, afin d’évaluer le risque pour les différents établissements.
L’enjeu des données
Les données relatives à la transition énergétique des entre- prises – comme les émissions de carbone, la trajectoire de réduction des rejets de CO … – ont un rôle fondamental. Dans certains cas, les établissements disposent de ces données via leurs clients. Dans d’autres cas, l’information disponible est pauvre. Enfin, certaines données peuvent être achetées auprès de prestataires.
Il est important que les entreprises investissent dans la mesure de leurs émissions de carbone et de leur trajectoire de rejets, ou bien qu’elles fassent appel à des calculateurs externes. Toutefois, il faut être conscient que certaines don- nées, par exemple liées au scope 3, manquent à ce jour de fiabilité et peuvent fausser les résultats actuels des « stress tests » climatiques.
L’enjeu de la pédagogie
Les banques et les gérants d’actifs sont soumis à une pression de leurs clients, du régulateur et des organisations qui souhaitent les voir participer activement à la transition. Beaucoup de ces organismes ont demandé aux entreprises qu’ils finançaient de cesser ou de transformer leurs activités les plus polluantes.
Les établissements financiers jouent un rôle central pour accompagner la transition des entreprises les plus polluantes, par exemple dans les secteurs pétroliers, gaziers ou liés au charbon. L’alternative consistant à bannir ces actifs serait pire car ils seraient alors détenus par des entreprises dont certaines sont plus opaques, avec des résultats négatifs pour l’environnement. Le fait de conserver un minimum de capital dans les entreprises les plus polluantes constitue un levier d’action pour les banques et les investisseurs.
Les établissements financiers vont probablement continuer à durcir leurs politiques sectorielles. Ils doivent expliquer au grand public qu’il faut accompagner la transition énergétique et aider toutes les entreprises – y compris les plus polluantes – à réaliser leur transformation industrielle et celle de leur chaîne de valeur