Transformer les modèles économiques des établissements bancaires ?

Un article de Clothilde Bouchet,  présidente CRSF, paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »

« Tant que nous aurons un système bancaire important, les marchés de capitaux ne se développeront pas » : voilà une bien étrange réflexion d’un représentant de la Commission Européenne à l’occasion d’un débat d’experts sur le déploiement de Bâle 3.

La voie indiquée et poussée par la Commission est celle d’une désintermédiation, orientation largement partagée depuis la crise de 2008. Le modèle « originate to distribute » s’est répandu, certaines grandes banques en ayant même fait leur mantra.

 

  • Pour autant la révolution n’a pas eu lieu : les besoins de financement des entreprises sont assurés à 85 % par les établissements de crédit en Europe, contre 35 % aux États Unis.

La faute à qui ? À l’absence d’une Union des Marchés de Capitaux (UMC) qui peine à se construire comme le pointe Robert ? Certes, quelques réformes ont eu lieu telle que la réhabilitation de la titrisation avec le règlement STS de 2017, l’harmonisation du régime des covered bond en 2019, ou encore la directive prospectus visant à faciliter l’accès des PME/ETI aux marchés de capitaux.

Réformes insuffisantes mais aussi méconnaissance des spécificités du tissu économique européen : à titre d’exemple, l’Europe compte 23 millions d’entreprises dont seulement 0,2 % emploient plus de 250 salariés, cette population concentrant 30 % des emplois, là où les Etats-Unis affichent 4 millions d’entreprises dont les plus de 250 salariés concentrent plus de 50 % des emplois.

Autres latitudes, autres spécificités, autres besoins : ce n’est pas en assurant la seule promotion d’une réglementation prudentielle forçant à s’aligner sur le modèle américain que les établissements bancaires vont se transformer ; ils vont tout simplement s’affaiblir. Mais peut-être est-ce le but recherché ?

Les ROE des banques européennes avoisinent les 6 % là où ceux des banques américaines tutoient les 10 % ; en banque d’investissement, les parts de marché des banques américaines ont progressé en Europe ces dernières années au détriment des banques européennes.

 

  • Pour autant les modèles bancaires européens résistent et savent se réinventer.

En 10 ans, la vague fintech a poussé les banques à révolutionner leur « informatique » : recherche d’agilité dans les infrastructures, applications mobiles, chat bot, plateformes de services partagés, basés sur l’usage de la data et de l’intelligence artificielle, sont inscrits sur les feuilles de route des banques. Le déploiement de ces

évolutions technologiques a été accéléré par les confinements COVID subis : voilà que d’un grand mal émerge un grand bien !

C’est peut-être grâce à ces technologies que la Banque, au sens noble du terme, a aujourd’hui les moyens d’affirmer la spécificité du modèle d’intermédiation européen, d’accompagner utilement la mutation des entreprises vers des modèles de développement durables et d’orienter les consommateurs vers des actes d’achat et d’épargne responsables.

Le développement de nouveaux services et usages clients, ainsi que la commercialisation de plateformes de traitement reconnues pour leur excellence opérationnelle, sont de nouvelles sources de revenus susceptibles de faire grimper la part des commissions dans le PNB en augmentant la taille du gâteau, sans réduire les activités de prêt générant la marge d’intermédiation.

L’exploitation de la donnée est certes très utile pour le scoring crédit ou ESG ou les diligences réglementaires (KYC…). Elle pourrait être aussi tournée vers la mesure de l’impact social et économique de l’intermédiation, comme d’autres mesurent l’impact des dispositifs d’incitation publics. Ceci à l’appui de la démonstration de la pertinence de nos modèles bancaires au regard des spécificités du tissu économique européen.