L’hydrogène bas carbone dans le transport ferroviaire
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Un article de Pierre Liger, Partner tnp et Pierre-Emmanuel Vendé, Consultant tnp, paru dans le Crise énergétique et climatique : quelles stratégies innovantes ? »
Les enjeux de décarbonisation du transport ferroviaire en France
En matière de gaz à effets de serre, générés par le transport de passager, le TGV a fortement creusé l’écart avec les autres modes de transport. Avec ses 2,4 g de CO /passager/km, il émet 30 fois moins que les voitures thermiques et 4 fois moins que les TER électriques. Cette diminution des émissions par rapport à l’aviation peut même aller jusqu’à un facteur 200.
L’avance en termes de performance environnementale des TGV va encore s’accroître en 2024 avec les nouveaux modèles
« TGV M» qui consommeront 20% de moins que la génération actuelle, tout en transportant 240 personnes supplémentaires.
Cette performance environnementale du transport ferroviaire en France est obtenue grâce à l’électrification des lignes et un mix énergétique électrique français bas carbone : en 2021 seuls 12 % de l’électricité était produite par des énergies fossiles. À noter qu’avec les 17 réacteurs nucléaires sur 56 à l’arrêt pour maintenance en début 2022, l’émission de GES (gaz à effet de serre) des trains électriques va augmenter significativement. Pour pallier ce manque de capacité nucléaire, le gouvernement a d’ailleurs relevé par décret les quotas de production autorisés des 2 dernières centrales à charbon françaises fortement émissives en GES. La France a aussi été contrainte d’importer massivement de l’électricité allemande dont les centrales à charbon, première source d’électricité outre-Rhin, ont battu un record historique de production.
Pour le trafic de marchandises, les trains électriques avec une émission de 4g CO2 par tonne/km émettent six fois moins que les locomotives diesels de fret et quinze fois moins que les camions diesels les plus performants. Ils font aussi deux fois mieux que les porte-conteneurs maritimes.
Il faut noter l’essor vigoureux du transport combiné. Ce mode vertueux permet de faire traverser la France à des conteneurs, par train, puis par camion pour assurer la distribution finale. Les subventions publiques ne sont pas étrangères à cela, mais aussi les progrès technologiques : dorénavant, un conteneur peut être déchargé en deux minutes grâce à un système de plateforme rotative automatisé.
Le train électrique est performant, à condition qu’il puisse rouler : seuls 58 % du réseau ferré est électrifié, de sorte que 61 % des GES du transport ferroviaire résulte des seuls TER diesels circulant sur des lignes non électrifiées. Dans la stratégie bas carbone de la France, le transport ferroviaire a donc encore du potentiel.
Les solutions de substitution au diesel pas encore très matures
Plusieurs solutions ont été testées au niveau mondial pour se substituer au diesel.
L’Australie expérimente un train à traction solaire touristique sur 3 km en bord de mer alimenté à partir de panneaux chargeant des batteries lithium ion à bord des trains.
En Grande Bretagne, une solution alternative est expérimentée consistant à disposer les panneaux photovoltaïques situés en bordure de voies pour alimenter les trains.
Des trains à batteries lithium ion sont expérimentés en Allemagne et en France. D’une autonomie inférieure à 100 km, ils permettent de passer de portions électrifiées à non électrifiées.
L’usage de bio-carburant est une autre voie expérimentée en Grande Bretagne.
La dernière voie, la plus mature aujourd’hui, est celle consistant à utiliser des locomotives munies de piles à combustible consommant de l’hydrogène. Ces trains ont l’avantage d’avoir une grande autonomie et de ne rejeter aucun GES à la combustion de l’hydrogène (seulement de l’eau et de l’oxygène) contrairement au biométhane où du CO sera rejeté. Pour les trains nécessitant une forte autonomie, un focus est fait sur les trains hydrogène car il constitue l’alternative permettant la réduction la plus effective des GES.
Le marché du train à hydrogène décolle
En 2015, Sifang, filiale de CRRC, premier constructeur mondial ferroviaire a déployé le premier train hydrogène au monde dans la province de QingDao. En Europe, le premier train à hydrogène, le Coradia iLint, développé par Alstom, a été présenté en 2016 en Allemagne et mis en service commercialement en 2018. 41 trains ont été vendus en Allemagne. Fort de ce succès, Alstom a vendu ces trains dans plusieurs pays européens : Pays-Bas, Autriche, Pologne, Italie, Suède et France.
Au niveau national, des premiers essais de TER à hydrogène sont prévus en 2023 à la suite du lancement du projet TER H2 , en 2018. Les premiers TER commerciaux circuleraient en 2025, dans les Régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est et Occitanie.
La nécessité d’un hydrogène bas carbone pour la transition
Décarboner les transports grâce à l’hydrogène nécessite que celui-ci soit produit grâce à des moyens bas carbone. Or 95 % de la production actuelle s’effectue par vaporeformage de gaz naturel, appelé hydrogène gris, émettant en moyenne 15 Kg de CO pour 1 Kg de H produit. Le compte n’y est pas !
Heureusement, il existe d’autres techniques de production d’hydrogène : soit par vaporeformage du biométhane, soit par électrolyse de l’eau. Concernant l’électrolyse, il s’agit d’une réaction chimique forcée par un courant électrique séparant le dihydrogène de l’oxygène de l’eau.
Voici les enseignements à retenir concernant les émissions relatives aux différentes technologies :
Le diesel est doublement émissif : non seulement parce qu’il libère dans l’atmosphère le carbone des sous-sols, mais aussi parce que le moteur diesel des locomotives à un piètre rendement de l’ordre de 25 %. Paradoxalement, alors qu’elle nécessite de multiples transformations (production de l’hydrogène, transport, transformation en électricité, puis en énergie mécanique), l’énergie issue de l’hydrogène a un meilleur rendement.
Sur le papier, le vaporeformage à partir de biométhane paraît une voie prometteuse, mais les besoins en biométhane sont également importants pour décarboner le transport en voitures, avions, les navires… or les surfaces et déchets agricoles disponibles sont limités.
L’hydrogène produit à partir du mix électrique européen est aussi émetteur de GES que le diesel. C’est le cas, si on lance la production de H en France en début 2022 par une froide journée d’hiver avec un grand nombre de tranches nucléaires en maintenance, car on active les interconnexions frontalières. On sollicite alors les derniers moyens disponibles comme les centrales à charbon allemandes.
C’est le nucléaire et l’hydraulique qui permettent d’obtenir l’hydrogène le moins émissif.
Faut-il pour autant relancer massivement le nucléaire ? C’est un autre débat.