Electrification des véhicules : l’industrie automobile française peut tirer son épingle du jeu
Un article de Marc Mortureux, Directeur général, Plateforme, filière automobile et mobilités (PFA), paru dans le livre blanc « Crise énergétique et climatique : quelles stratégies innovantes ? »
La transition énergétique n’est pas une option mais une obligation, et l’automobile doit être acteur de cette transition. Depuis 2018, la Plateforme automobile – Filière Automobile & Mobilités (PFA) – se positionne comme apporteur de solutions pour faciliter la transition énergétique.
Le mouvement vers l’électrification de l’automobile est mondial, mais encore plus rapide en Europe, et la fin annoncée du moteur thermique risque d’accélérer le déclin de l’industrie automobile en France. Le moteur thermique constituait un verrou technologique qui, couplé à une réglementation exigeante, permettait à l’industrie automobile européenne de résister face à la mondialisation. Mais si l’on s’en donne les moyens, l’électrification peut également être une opportunité de rebond pour cette industrie.
L’opportunité de l’électrification
L’électrification des véhicules rebat les cartes et l’industrie automobile française peut tirer son épingle du jeu car elle dispose de nombreux atouts. En premier lieu, la France dispose d’une électricité décarbonée grâce à son important parc nucléaire. Par ailleurs, le secteur automobile compte de très belles entreprises, comme les constructeurs Renault ou Stellantis qui ont beaucoup investi dans l’électrification de leur gamme, les équipementiers Valéo ou Faurecia qui sont positionnés sur des technologies de pointe… Enfin, les besoins de mobilité évoluent. Nous sommes en train de passer de la notion de propriété à celle d’expérience. La tendance est désormais à la diminution du nombre de véhicules et à l’allongement de leur utilisation.
La diversité des solutions
La Commission européenne a fixé un objectif de réduction de 100% des émissions de carbone à l’usage pour le secteur automobile d’ici à 2035. Pour atteindre la neutralité carbone, il est essentiel de travailler sur plusieurs pistes technologiques, car la solution unique du tout électrique ne répondra pas à tous les besoins et à tous les usages des consommateurs, et n’est pas à ce jour une solution accessible au plus grand nombre. Il ne faudrait pas abandonner des pistes d’innovation au profit d’un seul modèle.
Les constructeurs automobiles ont montré leur capacité à faire face à une transition rapide, et l’électrique va prendre rapidement une part significative du marché. Mais attention à la solution unique : il n’est pas certain que la meilleure solution soit d’imposer les véhicules 100% électriques partout en Europe, alors que rien ne garantit qu’il y ait suffisamment d’électricité décarbonée pour les alimenter. Conserver sur le marché une offre de véhicules hybrides rechargeables, régulièrement rechargés, permettrait de réduire l’empreinte carbone grâce à des batteries plus petites que celles équipant les véhicules 100% électriques.
Nous devons laisser le champ de l’innovation le plus ouvert possible, avec un cadre réglementaire qui permette une diversité de solutions technologiques pour répondre à la diversité des usages. Enfin, nous devons veiller au risque d’une trop grande dépendance de l’industrie automobile vis-à-vis de certains fournisseurs extra-européens. Le 100% électrique risque d’entraîner une forte dépendance aux matériaux stratégiques comme le cobalt, le nickel, le lithium et le cuivre, en complément des difficultés d’approvisionnement que nous rencontrons en ce moment avec les semi-conducteurs
Les conditions de la décarbonation du transport routier
La première condition pour atteindre les objectifs fixés par la Commission européenne est d’accélérer le déploiement des infrastructures de recharge sur le réseau routier. Le montant des investissements à réaliser au niveau européen est évalué à environ 150 milliards d’euros.
La deuxième condition est d’investir davantage sur les différentes chaînes de valeur : batteries, hydrogène, réservoirs… et de créer les conditions pour que les initiatives entrepreneuriales soient rentables dans la durée, avec un écosystème viable et pérenne. La France doit recouvrer un environnement suffisamment compétitif pour faire venir des investisseurs étrangers sur son territoire. Cela passe notamment par la baisse des impôts de production et des charges sociales. Si nous voulons une industrie compétitive, le site France doit être plus attractif.
La troisième condition repose sur la façon dont les clients vont adhérer à cette évolution vers l’électrification du parc automobile. Les véhicules neufs sont devenus trop chers pour beaucoup de consommateurs, ce qui explique sans doute le succès des véhicules d’occasion. Le passage au tout électrique apparaît délicat dans un environnement de tension sur le pouvoir d’achat, avec des hausses de prix des véhicules électriques d’au moins 30%.
Le défi de la transition
La transition énergétique aura un impact industriel et social majeur pour l’ensemble de la filière automobile, avec un moindre besoin en personnel. Toutefois, si nous arrivons à recréer les chaînes de valeur globales, nous pourrons atténuer l’impact négatif sur l’emploi. Mais la transition sera délicate à gérer pour l’ensemble de la filière automobile.
Enfin, le danger vient aussi de la concurrence des constructeurs chinois, qui produisent des véhicules électriques à coûts réduits et commencent à commercialiser ces véhicules « low cost » en Europe, au risque de capter une grande partie du marché automobile. D’ores et déjà, le taux de pénétration des véhicules électriques chinois en Europe est six fois supérieur par rapport aux véhicules thermiques. Ne soyons pas naïfs.