Mieux vaut mesurer la quantité de CO2 dégagée par produit vendu, plutôt que par produit transporté

IAB Cioran

Un article de Sorin CIOCAN, Group supply chain & logistics director, Groupe Kering, paru dans le livre blanc « Les défis de la supply chain » 


Le pilotage de la supply chain dans un contexte perturbé

Confrontées à un contexte de transport perturbé, les entreprises ont besoin de visibilité. La supply chain doit être traçable afin de savoir à tous moments où se trouvent les produits, et de manière assez précise (sku par palette). Le meilleur moyen d’obtenir ce niveau d’information détaillé, en quasi temps réel, est de digitaliser la supply chain.

Pour faire face à la forte variabilité de la capacité de transport, il serait nécessaire d’avoir une plus grande précision dans le forecast mais ce n’est malheureusement pas toujours possible. En effet, les capacités journalières de transport peuvent varier de 20 à 30% par exemple et il n’est pas rare qu’un avion parte en laissant une palette de produits au sol.

Connaître le contenu de chaque palette est essentiel car cela permet de définir les priorités à l’embarquement. Toutes les expéditions n’ont pas la même priorité. Suivant le temps nécessaire pour atteindre la destination, l’état du stock du client à livrer, ou le type de produit à livrer, certaines expéditions peuvent attendre avant d’être expédiées.

Par exemple, les clients e-commerce qui ont déjà payé leur achat et attendent la livraison seront toujours prioritaires. Le stock doit être distribué différemment.

Lorsque les transports de marchandises ne fonctionnent pas de manière optimum, il existe un réel intérêt à disposer d’un stock intermédiaire à proximité des magasins. Dans ce cas, il est préférable de privilégier – à niveau de stock égal – un stock mieux réparti en région et pas trop éloigné des points de vente, plutôt qu’un stock plus important en central. Lorsque l’on dispose d’un vol affrété (charter), il faut s’assurer qu’on le remplit et s’organiser pour que les produits prioritaires figurent bien à l’intérieur des palettes expédiées. Le reste de la charge, qui peut fluctuer chaque jour, sera réparti sur du transport aérien classique. Ainsi, l’impact de la variabilité des volumes sur la capacité de transport réservée, est limité. C’est la raison pour laquelle un vrai partenariat avec le transporteur est indispensable. Les équipes doivent travailler en confiance afin d’être en mesure d’anticiper les imprévus. Or, rien ne remplace la proximité physique sur un même plateau pour optimiser et fluidifier les échanges.

Cependant, des contraintes légales peuvent empêcher de mettre des personnes d’entités différentes dans un même bureau. Les obstacles culturels ne facilitent pas non plus un tel mélange. L’étape intermédiaire à un rapprochement physique est donc la mise en place de contacts digitaux permanents entre les équipes

 

Les exigences d’une supply chain en croissance

Rester agile et s’adapter au plus vite est d’autant plus important pendant des périodes de perturbations fortes, comme la pandémie. Les marchés n’ont pas réagi de la même manière simultanément et il a fallu rediriger des produits destinés au marché A vers le marché B. Ceci a eu un impact fort sur les coûts de transport. L’agilité et la vitesse de réaction sont très importantes. Nous ne savons jamais ce que le client va acheter demain avec précision. Pour cette raison, le cycle des analyses doit être raccourci afin d’accélérer les décisions de distribution. La difficulté est liée à la fragmentation des données entre les divers intervenants dans la chaîne d’approvisionnement et même au sein de l’entreprise entre les divers systèmes. La supply chain est fragmentée et la présentation optimale des données prend du temps. Il convient d’abord de ramener les données dans un réceptacle commun, un data lake et de reconstituer des historiques. L’étape suivante sera d’automatiser des analyses récurrentes et utiliser l’intelligence artificielle (IA) lorsque les données seront structurées. Mais si l’entreprise ne dispose pas des bonnes données, l’intelligence artificielle demeure non pertinente.

 

Une supply chain plus green

La question environnementale doit devenir une seconde nature pour tous les individus. Le premier sujet concerne les matériaux utilisés pour rendre les produits plus green. Il est important de savoir d’où viennent les matières utilisées dans la fabrication des produits et de recourir le plus possible à des matériaux primaires.

Le deuxième sujet concerne la moindre utilisation des plastiques. Kering cherche à diminuer les plastiques utilisés pour la protection de ses produits et à recourir à des matières bio dégradables. Mais une supply chain vertueuse, qui expédie rapidement les produits avec le moins de matières nécessaires, est un vœu pieux puisqu’il s’agit de protéger les produits expédiés.

La question d’une plus grande utilisation du transport mari[1]time se pose, bien évidemment. Mais l’objectif est aussi de ne plus avoir de produits qui « dorment ». Si l’entreprise parvenait à produire de manière plus ajustée, tout en livrant les produits par avion, elle dégagerait sans doute moins d’émissions de carbone au global, qu’en ayant un stock conséquent et en transportant certains produits en bateau. Actuellement, une part non négligeable de produits est transportée inutilement, car elle est invendue via les canaux classiques. Pour mieux mesurer notre impact sur la planète, mieux vaut mesurer la quantité de CO2 dégagée par produit vendu, plutôt que par produit transporté.

15 février 2022

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