La gestion des risques fournisseurs : axe stratégique de la performance des supply chain
Un article de Karim TIZAOUI, manager, TNP Côme de SORAS, manager, TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la supply chain »
Ces dix dernières années, la mondialisation a engendré une complexification des supply chain. Il est devenu aujourd’hui presque impossible pour une entreprise d’avoir une transparence complète sur son réseau de fournisseurs. En effet, la production d’un produit/service – des matières premières au consommateur – peut nécessiter de faire intervenir des centaines, voire des milliers de sous-traitants. Ces derniers peuvent devenir dans certains cas le talon d’Achille des grandes entreprises.
Or, la nouvelle réglementation européenne va imposer aux entreprises de mettre en place des dispositifs de contrôle stricts (environnementaux et sociétaux) à partir de 2023. Celle-ci va imposer un devoir de vigilance aux entreprises de plus de 250 employés qui devront alors maitriser les risques auxquels sont exposés leur supply chain et leur écosystème de sous-traitants.
La maîtrise de la sous-traitance est un avantage compétitif
Bien que les principaux sous-traitants soient gérés en central, ces derniers peuvent à leur tour faire appel à de la sous-traitance qui à leur tour font encore appel à de la sous-traitance. Nous arrivons alors sur des entreprises locales dont les enjeux et les cadres législatifs peuvent être très éloignés de ceux de l’entreprise commanditaire.
Que ce soit d’un point de vue opérationnel, légal ou de l’image, les entreprises ne peuvent plus rester passives face aux risques de leurs sous-traitants mais doivent devenir les acteurs dans l’identification et la prévention de ces risques. Risquer de se voir fermer un marché pour avoir traité avec un fournisseur peu regardant sur l’origine de certaines matières premières ou être victime d’appel au boycott car un produit a été fabriqué par des enfants, peut être désastreux pour les entreprises.
Selon une étude France Stratégie, on mesurait déjà en 2016 un écart de 13% en termes de performance commerciale entre les entreprises qui mettent en œuvre des stratégies responsables et celles qui ne le font pas. On constate, de fait, que la mise en place d’une stratégie responsable donne un avantage compétitif aux entreprises.
Que celle-ci ait pour cible les consommateurs, les fournisseurs, l’appareil d’approvisionnement ou celui de distribution, les résultats qui sortent de ces pratiques responsables montrent qu’il n’est plus question de contraintes, mais d’opportunités. Par exemple, Mango qui a été sous le feu des critiques à la suite du drame du Rana Plaza en 2013 a décidé de publier la liste de tous leurs sous-traitants de tier1 et travaille actuellement pour fournir celle de tier2 et3.
La gestion des risques par les conséquences
Les cultures d’entreprise sont en train de changer. Là où il y a encore quelques années l’objectif était de limiter les « Bad buzz », il s’agit de faire de la transparence et tout ce qui en découle, un avantage compétitif en améliorant la satisfaction client tout en anticipant les contraintes règlementaires.
Selon une étude Harris de 2018, près de six français sur dix sont prêts à payer 5% plus cher pour des produits éthiques. Les consommateurs sont en train de renverser le rapport de force grâce à leurs actes d’achats. On l’a vu récemment avec Yuka (l’application d’aide à la consommation responsable), qui a fait plier un acteur majeur de la grande distribution qui a dû revoir la qualité nutritionnelle de 900 produits de sa marque distributeur.
Demain viendra s’ajouter aux attentes consommateurs la règlementation. En effet, celle-ci va cadrer et imposer des règles sur les entreprises. L’enjeu pour les entreprises consiste à prendre le virage de la transition écologique et sociale, au risque de venir s’exposer à de multiples risques : perte de marchés, baisse d’attractivité des talents ou des financements, exposition aux risques environnementaux de pollution ou de sourcing, risques sociétaux, etc. Avoir une stratégie d’entreprise responsable n’est plus une option, c’est devenu une nouvelle condition du business.
Les risques peuvent, en règle générale, se catégoriser en deux groupes. Les premiers sont les risques « connus » qui peuvent être anticipés et mesurés. Les seconds sont les risques qui sont impossibles à anticiper.
Pour les risques non-connus, l’objectif pour les entreprises est alors de réduire leur probabilité d’apparition au maximum et de se préparer à réagir au plus vite s’ils apparaissent afin de garder un avantage compétitif durable.
Une approche consiste à adresser les risques selon leurs conséquences pour l’entreprise. Cette priorisation permet de mettre en place des couches de défense adaptées aux risques choisis et de déployer les moyens nécessaires. À défaut d’une telle approche, l’entreprise peut se retrouver à investir temps et argent au mauvais endroit, à déployer des moyens qui passent à côté de l’objectif.
Le digital accélérateur de mise en conformité
Il ne suffit pas de décréter vouloir améliorer la responsabilité sociétale et environnementale de l’entreprise et de son tissu de fournisseurs. Cela nécessite une transformation profonde de la supply chain et de la chaîne de sous-traitance. Bien que les décisions d’améliorer la performance RSE se prennent immédiatement, la mise en œuvre peut être longue et chronophage.
La transformation ne consiste pas uniquement à recenser les fournisseurs et mettre des clauses contractuelles concernant leurs impacts RSE. Cela est bien plus profond et peut nécessiter de revoir la manière de concevoir et fabriquer les produits. Nous pouvons citer l’exemple du magazine Elle qui a décidé de ne plus publier de photos comportant de la fourrure ou Rolls Royce de retirer l’ensemble des cuirs d’origine animale de ses véhicules. Cela nécessite d’innover mais également revoir la stratégie produit.
Un certain nombre de risques tels que la faillite d’un fournisseur, le risque de défaut d’un fournisseur, sont bien connus. De nouveaux risques font aujourd’hui leur arrivée comme les enjeux liés à la cybersécurité. Dans le cas des produits technologiques, un composant mal choisi ou mal paramétré par un sous-traitant peut avoir des effets désastreux en termes de sécurité de produit. De même, les systèmes clients et fournisseurs étant de plus en plus intégrés, une faille du côté du fournisseur peut mettre en péril l’ensemble du système.