Le rôle de la technologie et du CRM dans le luxe
Un article de Arnaud de La Fournière, directeur associé, TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »
Le marché du luxe repose sur un idéal de rareté et d’exclusivité qui semble, au premier abord, contradictoire avec l’accessibilité universelle portée par Internet. Avec seulement 10% des ventes sur le Web en 2018, les maisons du luxe ont longtemps perçu dans ce canal un risque de vulgarisation incompatible avec leur positionnement d’exception. De plus, l’expérience client a une importance capitale en boutique : toucher un cuir extraordinaire, sentir une fragrance, déguster un grand cru sont autant d’expériences sensorielles que le digital n’offre pas. Il en va de même pour toute la cérémonie de vente qui est essentielle à la relation client. Comment les maisons de luxe ont-elles relevé le défi de préserver leur héritage tout en répondant à l’attente client de nouveaux par[1]cours digitalisés ?
La crise sanitaire qu’a traversée la planète durant ses 18 derniers mois a considérablement impacté les habitudes des clients des marques de luxe et concrétisé l’émergence de nouveaux parcours client portés par la technologie, qui sont venus compléter les expériences de vente classiques, voire se substituer à des canaux historiques de vente comme le travel retail, jadis considéré comme le sixième continent du marché du luxe.
Ce développement de nouveaux modèles de vente portés par la technologie profite à la fois aux marques et à leurs clients. Les premières sont en mesure de proposer des parcours qui commencent en amont de la vente traditionnelle en boutique, de proposer de nouveaux services et d’interagir avec des clients de plus en plus exigeants, connectés et avertis.
L’omnicanalité
Nous faisons face à une évolution des comportements des consommateurs qui deviennent des «omniconsommateurs» accoutumés à des expériences de vente cohérentes, trans[1]verses et fluides, indépendamment du canal de vente. Les maisons de luxe ont donc plus que jamais besoin d’une vue à 360° afin d’améliorer la relation et l’expérience client par des parcours toujours plus agiles, sécurisés, personnalisés et accompagnés de nouveaux services innovants. L’exigence est aujourd’hui à une offre AtaWad, «At anytime, anywhere on any device». Les maisons du luxe, qui avaient pris du retard sur les opportunités offertes par l’omnicanalité, se sont engagées dans cette mutation à marche forcée. Ces initiatives leur permettent ainsi de proposer aux clients des expériences toujours plus immersives et de dépasser leurs attentes en anticipant leurs questionnements et leurs émotions. Si, l’omnicanalité est perçue comme un levier de développement de l’activité commerciale, la grande majorité des maisons du luxe y a vu une opportunité pour se réinventer et y transposent leur expérience client avec de l’hyperpersonnalisation, des expériences client en réalité augmentée…
De nouveaux services
Il a été montré par un certain nombre d’études que le luxe expérientiel affiche une croissance 50% plus rapide que celle du luxe matériel.
Les maisons de luxe doivent aller au-delà de la publicité ciblée ou du client telling et se saisir de l’opportunité du luxe expérienciel avec des produits et des expériences sur mesure, sur un modèle de conciergerie : le concierge sait tout du client, collecte ses données, lui propose des expériences uniques et se remémore son passage lors des prochaines visites. Chaque service se voit augmenter par les maisons de luxe pour une expérience client toujours plus innovante.
Des expériences web to store
Plus des trois quarts des achats réalisés sont digitalement influencés. L’un des objectifs des maisons de luxe est de générer du trafic en boutique à partir des outils digitaux. Le Web devient une vitrine présentant des expériences uniques que le client peut solliciter lors de son passage en boutique. Il est désormais possible de réserver ces articles pour venir les essayer en magasin, prendre rendez-vous avec des stylistes personnels, comme aux Galeries Lafayette, ou encore avec des experts métier qui proposent des services sur mesure de broderie ou de retouches…
Ces nouvelles expériences clients sont rendues possibles par le développement de nouvelles offres et fonctionnalités proposées par les solutions OMS. En plus de la fonctionnalité classique d’ordonnanceur des commandes client, les éditeurs d’OMS ont investi dans l’ergonomie et la simplicité d’utilisation de leurs outils. Il est désormais possible de consulter les stocks en temps réel de l’ensemble du parc de boutiques, d’e-réserver les produits qui seraient disponibles dans une autre boutique, de bloquer des créneaux pour des prises de rendez-vous pour bénéficier d’une expérience en boutique unique et personnalisée ou encore de commander et payer un produit dans une boutique et de le retirer ou faire livrer à partir d’une autre boutique.
Digitaliser l’expérience magasin
Les maisons de luxe investissent dans la digitalisation de leur expérience client. Au-delà de simples adaptations telles que la mise à disposition de conseillers en appel vidéo, les mai[1]sons du luxe ont investi dans de vraies innovations technologiques. C’est le cas de Burberry qui, en collaboration avec Google, a développé un outil de réalité augmentée permettant de visiter virtuellement la boutique et de découvrir ses produits. Il en est de même chez Chanel qui a sorti en février 2021 l’application Lipscanner permettant de reconnaître la couleur identifiée, propose son interprétation Chanel parmi le catalogue produits de la Maison et permet un essayage instantané sur les lèvres grâce au maquillage virtuel. L’Oréal propose des services similaires via, l’application Make-Up Genius permettant de « tester » virtuellement un maquillage ou encore True Match App qui permet de sélectionner la bonne teinte de fond de teint.
Il est possible de réserver en ligne les services d’un coursier à la présentation soignée qui accompagnera le client dans ses essayages afin de s’assurer que l’article convienne. Si ce n’est pas le cas, le coursier peut repartir avec la pièce et le remboursement se fait sans couture. Ce modèle de livraison inédit dans le secteur du luxe confirme l’intégration d’une stratégie omnicanale dans les départements retail et digital.
Accompagner le développement de nouvelles tendances de fond comme l’émergence de la seconde main
Les acteurs du luxe sont confrontés à un nouveau défi : l’émergence du resale et de la seconde main portée par des plateformes de revente spécialisées comme Vinted ou Vestiaire Collective. Ces nouvelles offres rencontrent un succès croissant auprès de clients sensibles à leur empreinte écoresponsable et passionnés par les objets artisanaux et authentiques. Pour reprendre la main et accompagner l’émergence de ce nouveau marché, certaines maisons ont lancé des collaborations avec des plateformes en ligne ou des prestataires. Un des enjeux majeurs est de rassurer le client sur la qualité et l’authenticité du produit de seconde main, dans la continuité de la lutte permanente des acteurs du luxe contre la contrefaçon.
Ce nouveau défi a conduit les trois plus grands groupes du luxe – LVMH, Kering (via sa maison Prada) et Richemont – à s’associer pour développer un projet collaboratif autour de la contrefaçon et offrir à leur client une information transparente et infaillible autour de la traçabilité de leurs produits afin de lutter ensemble contre la contrefaçon et sécuriser le développement du marché de la seconde main.
Ce modèle collaboratif entre des maisons concurrentes n’est pas aisé à mettre en œuvre et certaines marques de luxe présentes dans la mode ou la bagagerie étudient des alternatives comme la RFID. Il est désormais possible d’intégrer une étiquette premium, compatible avec la valeur de l’objet d’exception à laquelle elle est rattachée. Cette étiquette porte via la RFID des informations liées au produit et à son cycle de vie (origine des matières premières, lieu de production et de mise en vente, cycles d’entretien le cas échéant). TNP a développé des partenariats avec des start-ups spécialisées du marché de la RFID et contribue au développement des cas d’usage portés par la RFID. Cette technologie accélère la mise en œuvre de nouvelles offres et de nouveaux parcours clients digitaux. Elle offre une vision des stocks unifiés en temps réel et permet de mieux connaitre les habitudes de consommation des clients finaux. Un nouveau levier de croissance auquel commencent à s’intéresser les plus grands groupes de luxe.