To be or not to be Phygital : that is the question

12 décembre 2019

Il y a quelques années, est apparu un terme un peu barbare celui de « Phygital », contraction des termes « physique » et « digital », l’enjeu consistant à mettre du digital dans les espaces physiques. Dès lors, points de vente et centres commerciaux ont multiplié les écrans comme si s’approprier les atouts du digital était un moyen de lutter efficacement contre ce nouveau concurrent et de séduire à nouveau les chalands désormais connectés.

QUAND LES ESPACES PHYSIQUES TENTENT DE S’EMPARER DES ATOUTS DU DIGITAL

Une recherche menée il y a dix ans avec une grande enseigne d’amélioration de l’habitat, nous avait permis de conclure que les bornes interactives en magasin avaient un intérêt extrêmement limité, si leur objet était d’offrir aux clients la possibilité de surfer on-line, c’est-à-dire de faire en magasin ce qu’il leur était possible de faire chez eux… Pourquoi un client viendrait-il naviguer en magasin alors qu’il peut le faire tranquillement à la maison, sans se déplacer, en buvant son café confortablement allongé dans son canapé ? Si les bornes interactives ne proposent pas quelque chose de différent à ce que le client peut faire chez lui, leur usage apparaît tout à fait limité… Par ailleurs, l’usage croissant en magasin de ce compagnon de shopping qu’est le smartphone n’arrange évidemment pas les choses et les bornes qui vivent leur vie en solo, sans visiteurs, ne sont malheureusement pas une exception.

FAUT-IL ENCORE INVESTIR DANS LES TECHNOLOGIES DIGITALES EN POINT DE VENTE ?

Après une phygitalisation tous azimuts où l’on mettait du digital partout, parfois par simple mimétisme et peur de passer à côté de quelque chose, l’heure est à la réflexion.  Il ne s’agit pas de rejeter la phygitalisation dans son ensemble mais de conduire une réflexion permettant d’opter pour un « phygital » choisi, évalué selon son ROI et la valeur qu’il procure réellement au client dans son parcours d’achat. Quelques résultats d’étude[1] apparaissent, à ce titre, intéressants. Après avoir proposé des SST (Self-Service Technologies) surtout centrées sur la transaction, la grande distribution a implanté une nouvelle catégorie de SST centrée sur l’auto-information. Ce type de self-service, qui suppose une participation active du consommateur via un transfert de tâche de l’employé vers le consommateur, lui permet d’accéder de manière autonome à l’information. L’étude montre que l’usage de ces technologies dans l’espace physique nécessite des efforts à la fois cognitifs et temporels de la part du client et qu’elles vont même parfois à l’encontre de leur raison d’être. Elles font perdre du temps au client à un moment où il n’a justement pas envie d’en perdre ! Devoir « trouver » la borne en magasin, « faire un détour » vers celle-ci, « attendre » parfois qu’elle se libère, « comprendre » son fonctionnement, tout en n’étant pas certain qu’elle fonctionne et qu’elle donnera accès à l’information recherchée constituent autant d’effort et de perte de temps perçu par le client. Ce qui naturellement constitue un frein à leur adoption et pénalise leur ROI.

Notons d’ailleurs qu’une autre recherche[2] révèle que plutôt que d’utiliser les technologies en points de vente, 76 % des shoppers préfèrent demander conseil aux vendeurs et 18 % rechercher des informations complémentaires à partie de leur smartphone. L’étude citée[3] précédemment révèle par ailleurs que l’accès aux technologies n’est pas systématique et que l’être humain oscille entre d’un côté, un besoin d’autonomie et de l’autre, un besoin de relation humaine. D’ailleurs, pour certains visiteurs, l’utilisation des technologies est destructrice de valeur sociale car elle réduit les interactions sociales au sein de l’espace de vente.

Interrogés sur leurs motivations à la phygitalisation, les distributeurs évoquent, la recherche d’un effet positif sur leur image, une amélioration des relations avec leurs clients et une diminution des charges salariales. En ce qui concerne les freins, ils citent les doutes quant au retour sur investissements en raison des coûts, de l’obsolescence et surtout du risque de leur non-utilisation par les clients[4]. Ce qui oblige à développer de véritables réflexions quant à l’intégration du phygital dans la customer journey et à sa capacité à créer de la valeur au sein de celle-ci.

QUAND LE PHYGITAL CRÉE DE LA VALEUR : DES CAMPAGNES DE COMMUNICATION À …  LA VENTE EN « CÔTE À CÔTE »

Il ne s’agit pour autant pas de rejeter toute possibilité de phygitalisation. Bien pensée, la phygitalisation apporte de la valeur comme par exemple dans :

  • Les campagnes de communication :  placés au bon endroit, avec la bonne taille, les multiples écrans constituent autant de touchpoints qui, grâce au mouvement et à un contenu bien trouvé, attirent l’attention, génèrent visibilité, mémorisation, notoriété, image sur le parcours de la cible. En témoigne la dernière campagne d’Eric Bompard dans les aéroports. Même si, de ces technologies, n’est exploité que leur écran, ce qui revient à les faire ressembler à des télévisions géantes … et à mettre en place des campagnes d’affichage plus dynamiques et plus séduisantes que les classiques affiches d’antan.
  • La politique de merchandising et pour la création d’atmosphère, les écrans peuvent générer une véritable immersion propice à l’expérience et à l’achat en témoignent les écrans géants chez Victoria’s Secret.
  • La customer journey du client : le phygital apporte de la valeur s’il permet de faire des choses que l’on ne peut faire seul à la maison, comme configurer sur-mesure sa voiture en grandeur nature avec un coach à côté de soi …
  • Les situations de vente « en côte à côte » : les technologies nécessitent presque toujours la présence d’un conseiller. Naviguant et échangeant l’un à côté de l’autre autour d’une technologie commune, l’entretien de vente « en face à face » se mue en vente en « côte à côte », ce qui transforme indéniablement la manière de faire du commerce, la posture du conseiller et la relation entre les interlocuteurs.

UN MOT EN CHASSANT UN AUTRE : DU PHYGITAL AU SMART SHOPPING

Un mot en chassant un autre, nous voici rentrés dans l’ère du smart shopping, un système interactif et connecté qui gère différents touchpoints sans couture, pour personnaliser l’expérience client et optimiser la performance des touchpoints. Par détection ou inférence par exemple, le système s’adapte de manière plus ou moins autonome au client pour lui proposer des solutions personnalisées. Citons à ce titre le Val d’Europe et son « couloir digital », dans lequel le client est scanné par une caméra infrarouge identifiant son genre, sa catégorie d’âge et la manière dont il est habillé pour lui projeter sur écrans tactiles géants des vêtements en accord avec ce qu’il porte ou avec ses achats antérieurs, vêtements qu’il peut ajouter à sa liste de course ou pour lesquels il peut être dirigé vers le point de vente concerné…


[1] Feenstra F. et Glérant-Glikson A. (2017), Identifier et comprendre les sources de valeur dans l’interaction avec les SSIT (Self-Service Information Technologies) en magasin, Décisions Marketing, N°86

[2] El Azhari J. and Bennett D. (2015), Omni-channel Customer Experience: an Investigation into the Use of Digital Technology in Physical Store and Its Impact on the Consumers’ Decision-Making Process, 24 th Adetem International Conference, September.

[4] Lapassouse-Madrid et Vlad M. (2016), Courses connectées, un cas de destruction ou de création de valeur pour les clients et les distributeurs, Décisions Marketing, N°84

régine vanheems
RÉGINE VANHEEMS
AUTEURE

 

 

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