Lettre ouverte du CRSF à Emmanuel Macron et Olaf Scholz

Un article de Véronique ORMEZZANO, Présidente du CRSF et Benoit Ranini, Président de TNP, paru dans le livre blanc « Comment réussir le sursaut de l’Europe ? ».

Depuis son lancement en 2015, l’Union des marchés de capitaux (UMC) en Europe est loin d’avoir connu le développement attendu. Les marchés et les acteurs financiers européens continuent de perdre du terrain par rapport aux autres places financières.

Les divergences au sein de l’Union limitent les possibilités de financer les biens communs. Et l’abondante épargne européenne tend à s’exporter pour chercher des rendements et de la croissance en dehors de l’Union.

La fuite des capitaux et la dégradation de la compétitivité financière de l’Europe brident le financement de la transition énergétique, de la révolution numérique, de la réindustrialisation et du réarmement. Or, les besoins de financement de l’Europe sont évalués à 1.000 milliards d’euros par an au cours de la décennie à venir alors que le flux annuel de financement est de l’ordre de 400 à 500 milliards d’euros. Il s’agit donc de créer les conditions d’un doublement de la capacité de financement en Europe.

Toutefois, la fragmentation du marché des capitaux ne permet pas une allocation optimale de l’épargne au sein de l’Union. Et les banques européennes, soumises à des contraintes réglementaires qui ne cessent de se durcir, sans être forcément reprises dans d’autres zones géographiques, ne sont pas en mesure de répondre seules à ces besoins de financement.

Face à l’immensité des défis, l’Europe doit cesser de pénaliser et d’exporter son capital. Nous devons mieux utiliser les 35.000 milliards d’euros d’épargne privée européenne, dont un tiers dort sur des comptes en Europe et un tiers finance l’économie américaine. Trop d’argent quitte l’Europe pour les États-Unis.

Pendant ce temps, la Chine et les États-Unis subventionnent leurs industries avec des commandes massives et des réductions d’impôts qui leur permettent de produire des éoliennes, des véhicules électriques, de l’hydrogène vert… à des coûts 20 à 30 % moins élevés que les nôtres. L’Europe doit investir massivement dans les technologies, les énergies décarbonées et l’industrie pour faire face à la concurrence américaine et asiatique. Hélas, l’absence d’harmonisation de nos dispositifs rend impossible la mise en œuvre d’un IRA (Inflation Reduction Act) européen.

L’Union européenne doit restaurer sa compétitivité et se f ixer pour priorité la souveraineté financière. Elle doit créer un marché unique du financement visant à développer les marchés actions et obligations. Elle doit faciliter les opérations de consolidation bancaire au sein de la zone euro et encourager la titrisation qui permet d’alléger les besoins en fonds propres des banques pour réinvestir le capital libéré dans des financements nouveaux.

Le Cercle de la Régulation et de la Supervision Financière (CRSF), qui regroupe 70 banquiers européens, propose d’avancer rapidement autour de trois axes d’amélioration :

  • Relancer le marché européen de la titrisation avec une révision du cadre réglementaire et un modèle de garantie européen qui pourrait être opéré par l’European Investment Fund (EIF).
  • Canaliser l’épargne européenne vers le financement à long terme en créant des instruments paneuropéens avec de fortes incitations fiscales, tels des produits d’épargne salariale, d’épargne retraite, d’épargne patrimoniale.
  • Changer radicalement le mode de gouvernance de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers avec une supervision des marchés plus intégrée, une base de règlementation unique et une vraie délégation à un nombre restreint d’exécutifs, en prenant pour exemple l’Autorité de lutte anti-blanchiment.

La finance européenne a besoin d’une mobilisation des autorités françaises et allemandes pour faire aboutir le marché unique du financement, mieux orienter l’épargne des particuliers européens et rendre les financements plus accessibles pour nos entreprises. L’Allemagne et la France sont légitimes à prendre cette initiative. Il est temps de mettre l’objectif de compétitivité au cœur du mandat des autorités après des années de pression à la réduction des risques.

Benoit RaniniPrésident, cofondateur
Véronique Ormezzano Chairperson - CRSF