L’Europe peut-elle encore connaître un sursaut ?

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Un article de Jacques de LAROSIÈRE, Ancien gouverneur de la Banque de France et Ancien directeur général du FMI, paru dans le livre blanc « Comment réussir le sursaut de l’Europe ? ».

Depuis le 1er janvier 1999, les pays européens ont une monnaie commune et des politiques communes. Pourtant, chaque pays continue de faire ce qu’il veut en matière de choix macro-économiques, sans toujours respecter les règles du traité de Maastricht. Dès 2003, le Pacte européen de stabilité et de croissance s’est effacé sous les coups de la France et de l’Allemagne. Or, le système européen ne peut fonctionner si les pays de la zone euro divergent en permanence.

Un esprit coopératif

En premier lieu, le sursaut de l’Europe passe par le respect d’un esprit coopératif qui doit permettre de minorer les divergences budgétaires. Il est indispensable de réduire les écarts macro-économiques entre chaque pays car leurs conséquences impactent le fonctionnement de la zone euro.

La marche de la zone euro ne reflète pas l’esprit du traité de Maastricht. Les taux d’intérêt européens sont déterminés selon une moyenne entre les pays du Nord et les pays du Sud, qui ont des aspirations différentes. Les pays du Sud sont plus enclins à l’inflation. Ils sont aidés par le système européen dans la mesure où l’euro les protège d’une dévaluation qui appauvrirait leur population. De fait, les pays du Sud, moins rigoureux, sont un peu surévalués par le système tandis que les pays du Nord, plus vertueux, sont un peu sous-évalués. Ces antagonismes dessinent un avenir problématique pour l’Europe.

En France, le déficit public est sur une trajectoire de 6 % du PIB en 2024 au lieu du plafond de 3 % fixé par le traité de Maastricht. Et la dette publique est de 112 % du PIB au lieu du maximum de 60 %. En conséquence, le coût du service de la dette est devenu trop élevé. La France a besoin d’une discipline budgétaire car les comptes publics sont en train de s’effondrer. L’étendue de la dette publique handicape la France en absorbant sa capacité de financement. De fait, on observe que les pays ayant des dettes publiques très élevées sont ceux qui investissent le moins pour développer leur croissance potentielle.

Des investissements productifs

En second lieu, le sursaut de l’Europe passe par le retour de l’investissement productif et des gains de productivité. Pour augmenter la croissance, nous devons changer de paradigme. La politique monétaire accommodante des deux dernières décennies a été l’ennemie de l’investissement productif. Les taux d’intérêt autour de 0 % en termes réels devaient favoriser l’investissement productif. Or, c’est l’inverse qui s’est produit. Les taux d’intérêt ont un rôle néfaste lorsqu’ils sont trop bas. Keynes nous avait averti : les taux trop bas pendant trop longtemps favorisent la « trappe à liquidité ».

Une étude de l’Observatoire de l’épargne européenne montre l’explosion des placements liquides des ménages depuis vingt ans. Les épargnants européens se sont détournés des investissements productifs à long terme pour se porter sur des placements liquides sans risque. Lorsque les taux sont bas, l’investissement productif n’est plus rémunéré et les agents économiques n’investissent plus dans les projets à long terme. La politique monétaire de taux 0 a encouragé l’endettement, les bulles financières, les achats immobiliers, les placements spéculatifs au détriment de l’orientation de l’épargne vers les investissements productifs. In fine, le paradigme de l’endettement systématique a abouti à une crise inflationniste, qui a débuté un an avant la guerre en Ukraine.

La politique monétaire européenne ultra-accommodante est un échec. L’Europe n’investit plus, ne prépare plus l’avenir et ne réalise presque plus de gains de productivité. Les Européens privilégient la consommation immédiate. Pour réussir le sursaut de l’Europe, il faut arrêter la politique des taux d’intérêt trop bas imposée par les banquiers centraux. Les taux d’intérêt doivent être le résultat du marché en tenant compte de la demande et de l’offre de capitaux. C’est au marché de fixer les taux, et non aux banquiers centraux.

La politique de promotion de la demande intérieure, le désintérêt pour l’épargne longue et l’incitation à se détourner des investissements productifs ont de lourdes conséquences : la politique tendant à augmenter l’offre des produits et des services est déficiente ; la tendance à toujours importer davantage face à une production défaillante provoque du chômage additionnel ; la France est de plus en plus dépendante des capitaux étrangers.

Le rejet du déni

Enfin, le sursaut de l’Europe passe par le rejet du déni. Nous vivons une époque où les croyances l’emportent sur l’observation des faits. Notre siècle a tourné le dos à trois siècles d’observation scientifique des faits. Pasteur a révolutionné la science grâce à l’observation avec un microscope. Mais l’esprit de Pasteur a disparu, du moins pour les sciences humaines. La doctrine – même lorsqu’elle est superficielle – tend à primer l’observation des faits. Les conclusions actées avant de réfléchir et de raisonner deviennent vérité.

Par manque de courage, les politiques ont bercé la population avec des idées fausses, en répétant qu’il était plus facile de s’endetter que de travailler. Il faut cesser de répéter à l’opinion publique qu’il suffit d’emprunter en profitant des taux d’intérêt bas pour résoudre tous les problèmes. La culture de la croyance évite d’agir et nous entraîne vers la facilité.

L’ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, a théorisé l’équation selon laquelle lorsque G (Growth) est supérieur à R (Rate), nous sommes dans la meilleure situation possible. Autrement dit, lorsque le taux de croissance est supérieur au taux d’intérêt, tout va bien. Or, il suffit d’une brusque hausse des taux d’intérêt pour se trouver en mauvaise posture. Ainsi, en 2021, le retour de l’inflation a entraîné une augmentation des taux d’intérêt de la BCE. Et le coût du service de la dette française est passé de façon inopinée de 36 milliards d’euros en 2019 à 48 milliards d’euros en 2023.

Le décrochage de l’Europe

Le déclin de l’Europe par rapport aux États-Unis est une réalité. En 2001, le PIB par habitant aux États-Unis et le PIB par habitant en Europe étaient à peu près identiques. En 2023, le PIB par habitant en Europe a décroché d’environ un tiers.

En France, l’investissement productif a décliné massivement. En vingt ans, un tiers de l’industrie manufacturière a disparu. Et de moins en moins d’entreprises ont la capacité d’investir. Nos entreprises sont sous-compétitives car elles sont les plus imposées de taxes et d’impôts en Europe du fait de la hausse absolument anormale de nos dépenses publiques. Dans ce contexte, lancer de nouveaux emprunts est inutile si nous n’avons plus la capacité entrepreneuriale. Sans remise en ordre de nos finances publiques, le déclin de nos entreprises se poursuivra inexorablement. Il est urgent de réduire nos dépenses publiques pour les ramener à l’étiage européen de 50 % du PIB.

Le choix fondamental de notre société est de savoir si nous voulons vivoter dans la financiarisation extrême et la perte de capacité de croissance ou si nous avons la volonté de traiter les problèmes de fond pour assurer l’avenir. La politique de facilité consiste à encourager les placements liquides et à détourner les épargnants des risques à long terme. A contrario, la politique de l’offre consiste à canaliser l’épargne longue vers les investissements productifs.

Jacques de LarosièreAncien gouverneur de la Banque de France et Ancien directeur général du FMI