Interview // Dao NGUYEN, fondatrice, Essenzia ByDao

01 décembre 2021

LES MARCHES DU LUXE EN OCCIDENT ET EN CHINE DIFFERENT SUR PLUSIEURS POINTS

  • La volatilité : Le marché du luxe en Chine est beaucoup plus mobile qu’en Occident, avec moins de stabilité intergénérationnelle. En occident, une marque établie depuis plusieurs générations se transmet et occupe une forme de stabilité auprès de son cœur de cible. Ce n’est pas le cas en Chine où il y a une redistribution permanente des cartes.
  • La compétition : Chaque génération étant avide d’explorer son propre « pool » de marques favorites et le marché chinois étant un relais de croissance stratégique par sa volumétrie, la concurrence est féroce entre les marques de luxe occidentales « traditionnelles », les marques de luxe occidentales de niche et les marques régionales plus récentes. Aussi, la définition du luxe pour les jeunes Chinois peut être décalée par rapport à ce que l’on entend en Occident.
  • Le pouvoir d’achat et la propension des GenZ à dépenser par rapport à leurs pairs occidentaux : dans le monde occidental, c’est la « silver generation » qui détient le pouvoir d’achat le plus élevé, alors qu’en Chine, ce sont les générations les plus jeunes qui sont les plus aisées. C’est la conséquence de l’amélioration constante du niveau de vie des Chinois et de la politique de l’enfant unique.

L’IMPACT DU DIGITAL ET DE LE MASSIFICATION DU LUXE

L’explosion des ventes via le digital et la massification des produits de grandes marques ne sont pas un danger pour l’image et l’avenir du luxe. Il s’agit plutôt d’une invitation à être plus créatif et à inventer des modes d’interaction avec les consommateurs en O2O (« online » to « offline »). Contrairement à l’Occident, il n’y a pas de césure en Chine entre le «online» et le « offline ». De même, il n’y a pas les mêmes préjugés par rapport à un déficit d’expérience lorsqu’une marque n’opère qu’en digital. Il y aura donc une bataille entre « online », « offline » et O2O. En revanche, l’intensification du digital et la massification des produits de luxe peuvent être un danger pour les marques occidentales qui risquent d’éprouver plus de difficultés à s’ajuster, tant en termes de posture que d’exécution. L’écosystème chinois n’a en effet pas d’équivalent en Occident.

LES AMBITIONS DU LUXE CHINOIS

Les marques de luxe occidentales pourront pour certaines être supplantées par des marques de luxe chinoises. D’abord, Les marques haut de gamme et de luxe chinoises ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles sont créées et gérées par des générations qui ont une éducation, une expérience et un regard différent par rapport à la création et au développement d’une marque. Leur créativité, leur réactivité, leur compréhension des attentes et des aspirations locales les rendent très acérées. Ce que l’on observe déjà dans les FMCG (Fast Moving Consumer Goods), dans la mode ou dans l’alimentation se répliquera probablement dans la joaillerie, la parfumerie… Ensuite, il existe une méconnaissance du marché chinois et une sous-estimation des investissements nécessaires. Beaucoup de marques occidentales se précipitent en Chine, attirées par la taille du marché, sans mesurer les efforts et les investissements soutenus et constants à réaliser. Ils appliquent des recettes qui ont fait leurs preuves et en délèguent l’adaptation aux équipes locales. C’est insuffisant dans un marché hautement disruptif et très complexe. Par ailleurs, il existe un manque d’agilité structurelle, organisationnelle et culturelle des marques occidentales qui, dans le contexte chinois, dilue mécaniquement leur part de marché.

UN MARCHE DU LUXE DOMESTIQUE

Le gigantesque marché chinois du luxe est devenu essentiellement domestique à la suite de la crise du Covid. C’est le sens de l’histoire. La croissance de la Chine passe par l’essor de son marché domestique. La Chine est passée d’une croissance
à deux chiffres soutenue par les investissements en infrastructures, à un objectif de croissance à supérieur à 7 % tiré par la consommation domestique. Avec ou sans Covid, il y a une volonté des autorités chinoises de rapatrier une partie de la consommation qui se réalisait dans les « duty-free », via les « daigous »… d’où la régulation sur les écarts de prix en Chine et hors Chine, ainsi qu’une régulation des « daigous », les Chinois expatriés qui achètent des produits occidentaux pour des compatriotes restés en Chine. C’est une réalité avec laquelle il faut composer en attendant que la consommation reprenne dans les « duty free » mondiaux… Par ailleurs, le marché chinois a de fortes composantes en risques. Il est donc évident que les marques occidentales ont besoin d’équilibrer leurs sources de revenus pour faire face aux aléas conjoncturels. Mais c’est un marché qui, dans la durée, ne peut être occulté. Enfin, le marché domestique chinois est un marché qui se travaille de manière globale avec une dématérialisation des frontières via les réseaux sociaux… et pas seulement localement.

L’interviewé

Dao NGUYEN
Fondatrice

ESSENZIA BYDAO

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