L’hiver du métavers
Depuis le 28 octobre 2021 et le changement de nom de Facebook en Meta, annonçant une évolution stratégique du groupe vers les mondes virtuels, le métavers a envahi les conversations.
Historiquement, c’est à Neal Stephenson que l’on doit l’invention du terme « metaverse » dans son roman de science-fiction « Snow Crash » de 1992, dans lequel il évoquait des avatars se rencontrant dans des environnements de réalité virtuelle en 3D.
Des fictions comme Avatar, Matrix, Tron ou Ready Player One, ont excité les imaginaires en nous immergeant dans des mondes virtuels et/ou augmentés où la fantaisie devient réalisable. Nous y pressentons le potentiel créatif d’une humanité libérée des contraintes physiques et sociales.
Pourtant, le chemin vers cette idée reste à tracer. Les jeux vidéo immersifs existent depuis longtemps, tout comme les environnements virtuels simulant la vie sociale entre participants qui interagissent via leur avatar. Nous nous souvenons de Second Life né en 2003, dont le succès s’est progressivement estompé au bout d’une décennie. Le métavers actuel incorpore à l’univers vidéoludique un concept majeur issu de la mouvance des cryptomonnaies : les NFT. Les NFT (« Non Fungible Token » ou « Jeton Non Fongible ») sont des titres de propriété inscrits dans une blockchain, donc uniques et infalsifiables. Ils sont adossés à des biens virtuels propres aux métavers, comme des avatars crées et vendus par des artistes, les vêtements de ces avatars, des terrains virtuels, des bâtiments, des objets décoratifs, etc. Une nouvelle économie très dynamique en découle, à base d’achat, revente, et de recherche de NFT à fort potentiel spéculatif, attirant une foule de joueurs avides de gains rapides et d’entreprises curieuses d’expériences nouvelles.
Ce système pyramidal dit de « Ponzi » est rendu possible par une pénurie de jetons ou d’espaces virtuels artificiellement créée, bien sûr hors de toute régulation. Dans ce « Far West » se multiplient les escroqueries, sans possibilité de réclamation. Des créations digitales sont plagiées des milliers de fois, et vendues mensongèrement comme uniques, puisque certifiées par un NFT. Des portails malveillants réalisent des ventes via cryptomonnaies sans que l’acheteur ne récupère jamais le bien acheté, quand d’autres se font simplement hacker. Des biens voient leur valeur artificiellement gonflée, par le biais de campagnes marketing ou de blanchiment d’argent, enrichissant les premiers entrants qui multiplient leurs gains au profit des derniers. Et même si la décentralisation de la blockchain garantit l’existence des NFT, les biens virtuels qui leurs sont associés sont eux consignés dans une myriade de métavers centralisés et concurrents, dont personne ne connait la pérennité. Un terrain acheté des centaines de milliers d’euros aujourd’hui peut ne plus exister dans quelques mois ou années.
Emportés par une hystérie qui trahit une soif d’eldorado, nous constatons la rapide dénaturation de la promesse initiale de créativité et de liberté.
Par ailleurs, le contenu même du métavers est encore largement immature. L’avènement des simulations accompagnant la conception industrielle, des expériences sociales virtuelles ou de production collaborative fluides, ou encore la fourniture de services éducatifs et de santé, reste un point sur la ligne d’horizon.
La météo du métavers sous nuages noirs
De l’autre côté du miroir, dans le monde réel, le panorama laisse également perplexe.
Sur le papier, la virtualisation de l’activité humaine permet une réduction substantielle des émissions de carbone, comme démontré lors des confinements liés à la pandémie. Mais il faut élargir l’analyse. L’ETH est la cryptomonnaie la plus fréquemment utilisée dans les transactions NFT. Chacune de ces transactions consomme environ 90 kilowattheures d’électricité, soit assez d’énergie pour alimenter un foyer français moyen pendant une semaine. Le coût d’un modèle d’intelligence artificiel de type GPT-3, dont sont friands les applications sur métavers, est 5 fois supérieur à celui d’une automobile sur la totalité de sa durée de vie. Pire, il est amené à augmenter de 44 % par an. Pour l’anecdote, les praticiens des ETH parlent de consommation de « gaz » pour qualifier les coûts de transaction : analogie bien révélatrice d’une réalité hautement carbonée.
Selon un rapport publié en 2020 par des chercheurs de l’université de Lancaster, un scénario dans lequel 30 % des joueurs auraient migré vers des plateformes de jeux en nuage d’ici 2030 entraînerait une augmentation de 30 % des émissions de carbone, par rapport aux jeux actuels. Le métavers est également susceptible de nécessiter une imagerie de très haute résolution, ce qui augmentera encore la consommation d’énergie.
Le métavers d’aujourd’hui voit donc ses fondamentaux sapés par la fragilité de la dynamique pyramidale, le tâtonnement autour d’une proposition de valeur qui tarde à se manifester, et un bilan carbone non aligné avec les exigences de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).
Le métavers doit montrer sa valeur et ses valeurs pour gagner la confiance des marchés
En attendant, le risque d’essoufflement du « buzz » augmente, et avec lui celui d’un basculement vers un « hiver du métavers », comme le connut l’intelligence artificielle à plusieurs reprises dans sa longue et itérative histoire.
Certes, les améliorations viendront. Côté cloud, Google s’est engagé à utiliser une énergie sans carbone dans tous ses centres de données d’ici 2030, tandis qu’Amazon Web Services veut alimenter ses activités avec 100 % d’énergie renouvelable d’ici 2025. Microsoft vise à être « carbone zéro » d’ici 2030, ce qui inclut un plan visant à ne plus utiliser de carburant diesel dans les générateurs de ses centres de données.
L’univers de possibilités de créations et de collaborations en vue rend à terme inéluctable l’évolution du web et de l’internet mobile actuels vers un métavers mûr.
Bien sûr, la frénésie du moment continuera à prospérer quelque temps. Mais face à cette effervescence anarchique, les acteurs majeurs comme Meta, Apple, Microsoft ou Nvidia, observent et se positionnent. Ils savent qu’un métavers pérenne demandera un nouveau paradigme garanti par des tiers de confiance robustes et engagés sur les problématiques sociétales. Et tant pis pour la décentralisation, qui comme toujours avec internet restera chimère.
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Cet article est issu de notre livre blanc
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