Automobile : fuite en avant ?
On pense généralement que le véhicule du futur-connecté, électrique et autonome voit son avenir freiné seulement par des considérations réglementaires ou juridiques, et que par contre, la technologie sera prête et que le consommateur l’attend avec impatience.
Le premier doute vient des montants gigantesques de R&D que demandent ces innovations, sachant que le renouvellement des gammes classiques existantes, les efforts demandés par le respect de normes sévérisées difficiles à atteindre, l’adaptation des modèles aux clientèles et réglementations locales consomment déjà des budgets importants de développement. Tous les constructeurs et tous les équipementiers consacrent des sommes considérables à leurs budgets de R&D, qui se comptent en milliards pour ne pas dire dizaines de milliards dans les plans des OEM. Le nombre de brevets déposés depuis 2010 sur le VA en témoigne : près de 5000 ! Comment tenir un tel rythme pour une industrie dont la rentabilité même rétablie ne dépasse guère 6 ou 7 % de marge opérationnelle ? Par la coopération et le partage des domaines de compétences. Difficiles entre concurrents d’hier quand personne ne sait vraiment comment se fera le partage de la valeur ajoutée et que les GAFA eux surfent avec des rentabilités à deux chiffres et des capitalisations boursières sidérantes. Sans parler de la guerre des talents qui est un problème au moins aussi compliqué que celui des budgets de R&D et celui des cultures d’entreprise à transformer. La preuve ? Toyota vient de confier 1 milliard de dollars sur cinq ans au Toyota Research Institute pour « secouer la R&D du groupe ». Le kaizen ne suffit plus. Il faut innover autrement.
Le second doute vient du consommateur. Il est maintenant acquis qu’il veut retrouver dans sa voiture son environnement personnel, c’est-à-dire son smartphone. Sera-t-il aussi friand qu’on le dit de connectivité élargie et d’autonomie de conduite ? L’argument du temps libéré par une délégation de conduite sera-t-il suffisant pour qu’il accepte de payer un surcoût de plusieurs milliers d’euros pour acquérir un véhicule autonome (VA) ? L’expérience montre que les grandes innovations techniques dès lors qu’elles deviennent un standard sont très difficiles à faire payer par le client enclin à considérer que ce que le marché ou la règlementation imposent lui sont dûs sans surcoût. Autrement dit, si on veut que le véhicule autonome connaisse le succès du smartphone, il est urgent de réellement vérifier ce que veut le client.
Illustrations de ces doutes, les horizons annoncés de flottes de véhicule autonomes varient énormément : 2018, 2020, 2025. Personne ne sait quand le VA décollera vraiment, ni comment se fera le partage de la nouvelle chaîne de valeur La lenteur de progression du véhicule électrique depuis 10 ans (dans un contexte aidé) et les write-off auxquels certains constructeurs ont dû procéder devraient rendre prudent sur les prévisions de volumes de VA. Un colloque récent a montré les interrogations des pouvoirs publics sur les bienfaits réels du VA avec des questions posées à l’industrie : le VA réduira-t-il l’usage des transports en commun ? Et renforcera-t-il la sécurité autant que les constructeurs le prévoient ?
Questions légitimes qui renforcent l’incertitude sur la vitesse d’émergence du véhicule autonome et compliquent les stratégies des OEM : investir toujours plus dans un univers toujours plus incertain. De quoi être « excité mais paniqué » comme le disait Carlos Ghosn récemment à la Cité de la réussite !