Comment les acteurs de l’aérien se réinventent en regard de la nouvelle donne sur les contraintes sociétales ?
Un article de Juan Marcelino, directeur TNP et Julie Achin, manager senior TNP paru dans le livre blanc « La mobilité en 2035 »
Considéré comme l’un des responsables du dérèglement climatique aux yeux du grand public, le secteur aérien est sous le feu des projecteurs. Il est contraint de se réinventer pour relever les défis sociaux et environnementaux au niveau planétaire. La crise sanitaire aura joué un rôle de catalyseur et d’accélérateur dans la transition brutale du secteur, bien que celle-ci ait déjà été amorcée bien avant 2020. Représentant autour de 2,5 % des émissions de CO2 au niveau mondial et près de 4% en France par an avec une nécessité de renouveler son parc d’aéronefs, ce qui induit des investissements considérables.
Pour atteindre l’objectif de zéro émission nette en 2050 et sortir du « Flight shaming » post covid, les acteurs de l’industrie aérienne doivent identifier et appliquer les leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre à court, moyen et long terme.
Les premières actions en faveur de la réduction des GES se sont orientées vers l’utilisation du carburant aviation durable (SAF), dont l’empreinte carbone est plus faible que celle du kérosène, le recours à des avions plus éco-responsables ou encore l’investissement dans des projets de compensation. À bord des avions, les compagnies ont également mis en place des initiatives visant à réduire le gaspillage et les déchets alimentaires en réduisant les stocks au juste besoin et en orientant les approvisionnements vers des sources plus durables.
Au-delà du volet environnemental, les acteurs de l’aérien ont poursuivi leurs efforts pour proposer une expérience et des parcours de voyage de plus en plus fluides. Le recours à l’intelligence artificielle a notamment permis d’aider à l’optimisation des trajets et l’aide à la décision en temps réel.
En outre, elles investissent dans des partenariats avec des entreprises énergétiques et étudient les possibilités offertes par les nouveaux opérateurs de transport tels que les dirigeables, les taxis volants et les drones.
Dans le domaine du fret aérien, les compagnies se consacrent à l’exploration de solutions innovantes telles que des avions dédiés à des fonctions médicales en cas de crise (avions hôpitaux à la suite de catastrophes climatiques ou guerres, service d’accompagnement).
Une autre stratégie clé utilisée pour répondre aux nouveaux enjeux est la multi-mobilité, également connue sous le nom de MaaS (Mobility as a Service).
Cette approche consiste à intégrer et à lier différents modes de transports, tels que l’aérien, le maritime, le ferroviaire ou le routier pour offrir aux clients des solutions de voyage de bout en bout.
Les efforts sont accompagnés d’un renouvellement de la flotte d’aéronefs (près de 40000 nouveaux avions d’ici 2041 dans le monde) qui s’intègrent dans un nouveau modèle économique afin d’être conforme aux exigences en matière de taxonomie et de subventions. Le gouvernement soutient les nouveaux acteurs, avec notamment des investissements conséquents (1.2 Md€) dans le développement d’avions bas-carbone.
Par ailleurs, les constructeurs aéronautiques se tournent vers des solutions plus éco-responsables, comme l’aérodynamisme de la coque et des ailes, le pilotage autonome ou le « fello-fly » qui est une étude visant à réduire la consommation de kérosène en vol en rapprochant les avions ayant la même route.
Les aéroports quant à eux, cherchent à minimiser leur impact environnemental en installant des infrastructures pour la production et le stockage de l’hydrogène. Ils adaptent également leurs espaces pour de nouvelles activités telles que la vente de produits locaux, les cinémas, les centres commerciaux, les bureaux et les salles de conférence. Ils étudient également l’implémentation d‘agents intelligents pour guider les passagers, les services mobiles ou encore la réduction de la pollution sonore.
Ils travaillent directement avec l’État, les régions et les autorités locales pour rapprocher les communautés par la mobilité et développer de nouveaux projets d’urbanisation et de trans- port ferroviaire/routier pour relier les villes aux aéroports. Ils gèrent également des investissements pour moderniser les infrastructures aéroportuaires afin d’offrir de nouveaux services et de dynamiser l’économie industrielle et touristique de la zone couverte par l’aéroport. Les travaux permettent de désenclaver les territoires en utilisant l’aérien comme axe de mobilités couplées avec les autres modes de transports.
Les autorités comme l’IATA et l’OACI jouent un rôle primordial dans la promotion de pratiques durables dans l’industrie aérienne en mettant en place de nouvelles réglementations pour optimiser les horaires de vols, réduire les émissions de gaz à effet de serre et améliorer le contrôle du trafic aérien, ce qui pourrait entraîner une réduction de 10 % des émissions de CO2.
Enfin, un levier majeur du développement du secteur aérien doit passer par le choix de destinations à fort potentiel touristique et économique pour stimuler sa croissance.
En synthèse, le secteur du transport aérien s’engage à s’adapter aux nouvelles exigences sociales et à réduire son impact environnemental en mettant en place de nouvelles mesures. Cette volonté peut être une opportunité pour l’Europe de ré- industrialiser et de rapatrier ces emplois tout en rendant ses compagnies aériennes plus compétitives. L’évolution sera nécessairement plus rapide en Europe car les contraintes légales sont bien plus proches (entre 2045 et 2050 pour l’Europe alors que la prévision est en 2060 pour la Chine et 2070 pour l’Inde), il faudra donc profiter de l’avance prise pour redevenir compétitifs vis-à-vis des autres acteurs internationaux.
Par ailleurs, le secteur faisant face à de grands challenges sur les 2 ou 3 prochaines décennies, un échec de sa transformation serait catastrophique et de nouvelles formes de mobilités sur de grandes distances devront être reconsidérées avec un effort colossal.
La récente reprise du secteur avec des premiers résultats optimistes sur la réduction de consommation de GES est un signal encourageant pour le secteur. Il nous reste à voir comment l’ensemble des organisations mondiales, et tous les acteurs de l’aérien (compagnies aériennes, autorités, aéroport et constructeurs) pourront s’unir pour atteindre l’objectif de zéro rejet sur les horizons temporels de 2050. Cela passe par des consensus et surtout une réglementation unique planétaire, ce qui demeure le plus grand défi à date aujourd’hui.