Le train à hydrogène, où en sommes-nous ?
Un article de Alexis des Courtis, manager TNP paru dans le livre blanc « La mobilité en 2035 »
Dans l’ensemble des plans de transformation annoncés par le gouvernement ou proposés par les think tank pour atteindre les objectifs de décarbonation, l’un des leviers essentiels mis en avant est le besoin de faire évoluer nos moyens de mobilité. Parmi toutes les mesures identifiées, l’évolution d’une mobilité individuelle au profit d’une mobilité collective décarbonée semble être la clef. Pour ce faire, le secteur ferroviaire va devoir faire face à une augmentation de l’offre, mais aussi à l’utilisation de nouvelles technologies. Parmi celles-ci le train à hydrogène est de plus en plus mis en avant par les constructeurs et semble répondre à un certain nombre de besoins.
Nous savons que moins de 50 % du réseau ferré national est électrifié et que 61 % des émissions de CO2 du transport ferroviaire résultent des seuls TER diesels circulant sur les parties non électrifiées du réseau. Jusqu’à présent, seuls les trains à traction diesel, bi-mode Diesel & caténaire ou bi- mode caténaire & batterie pouvaient circuler sur ces sillons, avec eux leur lot de contraintes : la pollution pour les modèles Diesel ou des limites d’usage pour les modèles à batterie liées à leur faible autonomie (80 km avant une recharge pour le modèle Bombardier). Le train à hydrogène semble être l’une des solutions.
Les premières mises en service
Pour mettre au point et tester cette technologie, les premières initiatives de train à hydrogène ont vu le jour dès le début des années 2000. Alstom a été le premier à proposer en Europe deux prototypes Coradia iLint qui ont été mis en service commercial dès 2018 en Basse-Saxe. Cette initiative a été suivie par une série de commande en Allemagne, Italie et en France où, en juillet 2022, la SNCF annonce que les 12 premières rames Régiolis H2 ont été commandés à Alstom. Ces rames ont pour objectif de remplacer les TER Diesel dans les régions Auvergne Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Occitanie.
En parallèle de ces premières commercialisations par Alstom, l’ensemble des constructeurs ferroviaires se sont lancés dans le développement et la commercialisation de solution hydro- gène et 2022 aura été l’occasion de beaucoup d’annonces à ce sujet. Le chinois CRRC a signé son premier contrat pour leur locomotive à hydrogène qu’il avait présenté en 2021. Elle sera destinée au Chili pour relier le port d’Antofagasta aux sites miniers de Bolivie. Il a aussi été présenté un premier train urbain sorti de la chaine de montage de Chengdu avec une vitesse de pointe annoncée à 160 km/h pour une autonomie de 600 km. L’allemand Siemens Mobility a quant à lui annoncé la première commande pour les trains à hydrogène Mireo Plus H pour une exploitation dans la banlieue de Berlin. L’Inde an- nonce le développement du Vande Metro, un train hydrogène 100 % conçu et fabriqué en Inde pour fin 2023. Il aura pour vocation de remplacer les modèles des années 1950 et 1960 actuellement en circulation.
Enfin, en septembre 2022, avec 1 175km parcourus, le Coradia iLint d’Alstom bat le record de distance d’un train hydrogène sans refaire le plein de son réservoir et atteint ainsi une autonomie identique à ce que peut proposer aujourd’hui un train diesel.
Les enjeux industriels liés à cette nouvelle technologie
L’exploitation des premières rames en Allemagne ne se fait pas sans heurts. Plusieurs problèmes techniques se sont révélés. Des retards de livraison ont eu lieu et ont impacté la mise en exploitation initialement prévue. Fin décembre 2022, seulement deux des six trains prévus ont pu être mis en circulation. Toute nouvelle technologie qui commence à être déployée largement s’accompagne d’une courbe d’apprentissage.
Pour les industriels, parmi les enjeux à relever dans les pro- chaines années, citons la nécessité de fiabiliser le cycle de développement des équipements spécifiques à un tel produit (pile à combustible, stockage de l’hydrogène, batterie, etc.). Ceci pourra se faire via la création de centres d’excellence regroupant les compétences clefs au développement d’une telle technologie. Mais aussi via l’achat d’acteurs spécialisés. Ainsi, Alstom a fait l’acquisition en 2021 d’Helion Hydrogen Power, société spécialisée dans les piles à combustible à forte puissance. De plus, il y aura aussi pour l’hydrogène, une augmentation significative des rendements et de façon plus globale des performances associées.
Un autre enjeu auquel les industriels devront faire face est la capacité de proposer des solutions de transformation des rames existantes, autrement dit faire du rétrofit. L’objectif est de pouvoir convertir les trains existants, dont la durée de vie peut dépasser 40 ans, en trains embarquant des solutions hydrogènes. Parmi les premières initiatives de ce type, on peut citer le partenariat entre Engie et Alstom pour mettre à disposition de Nestlé Waters, dès 2025, une solution de fret couplant une traction électrique reliée par un câble d’alimentation à un wagon générateur intégrant un système de piles à combustible de forte puissance alimentée en hydrogène renouvelable. Autre partenariat visant à réduire les émissions tout en limitant les coûts, le projet HyRail en Namibie reposant sur une technologie CMB.Tech de combustion d’hydrogène où il est question de convertir deux locomotives diesel GE de la flotte de Trans- Namib à la bicarburation diesel et hydrogène
Ainsi, malgré la prédominance de l’utilisation de l’hydrogène via des piles à combustible couplées à des modèles de traction électrique déjà bien connus, d’autres types d’initiatives très variées voient le jour.
Une application de l’hydrogène pour quels besoins
Nous distinguons plusieurs situations où le train à hydrogène semble apporter des solutions concrètes. Dans les pays où le réseau ferré est déjà développé mais avec des infrastructures variées et un nombre important de kilomètres de lignes non électrifiés. Pour la mobilité du quotidien, puisqu’en France un quart du parc de TER fonctionne au Diesel. Or, le coût de l’électrification d’une ligne oscille généralement entre 350000 euros et 1,5 million d’euros par kilomètre (avec ou sans ouvrage d’art). Malgré son surcoût actuel, le train à hydrogène per- mettrait de remplacer ou de moderniser ce parc de rames utilisant le diesel et d’être une solution décarbonée d’exploitation de ces lignes. Dans cette perspective, l’ADEME, dans son étude sur les perspectives du train hydrogène en France, met en avant trois paramètres pour juger de la pertinence du train hydrogène versus l’électrification des voies : la longueur de la ligne ferroviaire, le taux d’électrification initial des voies et la fréquence de passage. Ainsi, le train hydrogène est pertinent économiquement sur des lignes régionales à plus faible trafic et peu, ou pas, électrifiées. De plus, c’est une solution qui a l’avantage de simplifier l’exploitation des lignes car elle permet de verdir plusieurs lignes ferroviaires simultanément.
Pour les pays où le réseau ferré est moins développé, on peut imaginer que la solution du train à hydrogène réponde à d’autres paramètres car les conditions y sont différentes. En effet, dans les pays où le réseau n’est pas ou peu électrifié, le train à hydrogène pourrait permettre de mettre en circulation des rames à faible bilan carbone tout en offrant une multiplicité d’usages, tels que le fret ou les trains régionaux.
Pour conclure, l’une des limites du déploiement du train à hydrogène reste la production de cette énergie. Aujourd’hui, seulement 4 % de l’hydrogène produit pourrait être qualifié d’hydrogène vert et beaucoup d’autres secteurs tels que le transport aérien ou routier mais aussi l’industrie lourde (sidérurgie, chimie, etc.) s’intéressent à son usage pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. De plus, compte tenu des investissements capitalistiques nécessaires pour développer la filière hydrogène, il est nécessaire de mutualiser des investissements de façon concertée au risque d’une importante tension sur la demande, d’inflation des prix de l’hydrogène et donc d’un frein au développement d’une filière nationale de l’hydrogène, au profit de filières étrangères.
Dans cette configuration, le secteur ferroviaire pourrait servir de catalyseur et donner de la perspective aux investissements intéressés par l’utilisation de l’hydrogène. En effet, la mise en place de lignes de train à hydrogène nécessite des investissements réguliers et se font sur des durées longues. Ils permettront d’apporter de la stabilité et de la visibilité à un ensemble d’initiatives locales, tout en réduisant les coûts associés à son développement par la mutualisation des nouvelles infrastructures. Ceci combinée à une politique volontariste et généreuse de l’État français sera la clef du succès d’une filière hydrogène dans notre pays, qui sera une source supplémentaire d’attractivité et de dynamisme du tissu économique de nos régions.