Les banques de financement et d’investissement face au défi du « servicing »

Un article de Sylvain Collado, partner TNP et Julien Benitah, partner TNP.  paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »

Capitalisant entre autres sur de nouvelles technologies – telles que l’APIsation maximisant les opportunités de connectivité tout en bénéficiant des expertises tierces d’acteurs spécialisés ou encore la « scalabilité » du cloud qui permet une réponse puissante aux besoins de flexibilité et résilience des banques -, le marché de la « banque comme service » (Banking as a Service – BaaS) s’annonce prometteur : une évaluation à 350 millions de dollars à l’échelle mondiale avec une perspective de croissance de 27 % d’ici 2028.

Repoussant les limites du servicing, le BaaS permet d’intégrer des services bancaires et financiers aux chaînes de valeur et aux offres d’acteurs au nom d’un parcours client le plus complet possible et « sans couture ». Le « servicing » bancaire comprend un large éventail de prestations combinant à la fois la mise à disposition de capacités techniques et de solutions technologiques (ITO) et l’exécution d’un ensemble de tâches et de processus métier pour le compte de l’acteur bancaire (BPO).

Ainsi, dans un contexte où les opportunités de « servicing » se densifient, selon leur type, les banques ne les ont pas saisies de la même façon : si les banques de détail et banques privées ont adapté assez tôt leurs modèles opérationnels pour tirer profit de cette dynamique de « servicing », les BFIs se sont longtemps montré plus réticentes. Les premières ont engagé la transition d’un modèle exclusivement transactionnel vers un modèle incluant la fourniture de services aux secteurs financier et non financier (en B2B et B2B2C). Au-delà des initiatives BaaS, certaines ont même su capitaliser sur leurs projets de transformation digitale et sur leur montée en gamme techno- logique pour opérer un passage à l’échelle en ouvrant leurs systèmes d’information et plateformes à d’autres banques. Ces acteurs ont, par exemple, développé des offres SI pour les banques et par les banques en s’appuyant parfois sur des structures légales dédiées (Azqore pour Crédit Agricole, Oddo BHF, etc.). Les Banques de Financement et d’Investisse- ment (BFIs) se sont montrées plus timides dans leurs initiatives de « servicing ».

Néanmoins, à l’heure d’une tension extrême sur la rentabilité des BFIs combinée à une densification des options de « servicing », la question se pose : comment ces BFIs peuvent-elles tirer pro- fit de cette dynamique? À quelles conditions peuvent-elles l’envisager ?

 

BFIs et « servicing » : entre prudence & opportunisme

Jusque-là, les BFIs et leurs activités de marché de capitaux, étaient relativement en retrait de la dynamique de « servicing » (SaaS, BaaS, PaaS, outsourcing,etc.). Leurs initiatives de « servicing » (auprès d’acteurs bancaires et non bancaires) étaient jusque-là limitées à l’exception de quelques opérations historiques. Les BFIs les plus audacieuses s’étaient certes orientées vers de la fourniture de services ou de l’outsourcing mais :

  • sur des périmètres circonscrits et des chaînes standardisées comme du reporting réglementaire pour compte de tiers dans le cadre d’une délégation (MiFID, EMIR, DFA, etc.) ou du « servicing » d’opérations back office sur des produits vanilles (transfert des activités back-office, marché et crédit de Dexia à Cognizant);
  • Dans le cadre d’activités non rentables ou non stratégiques à l’instar de l’activité Produits Structurés pour Investisseurs Particuliers et Dérivés Actions de RBS servicés par BNP Paribas.

 

Le « servicing » : la promesse d’une stratégie « win-win » pour les BFIs

De plus en plus confrontées à des tensions sur la rentabilité et à des problématiques d’échelle induites par les activités de flux, les BFIs pourraient trouver dans le « servicing » l’opportunité d’une stratégie « win-win ».

La plateformisation croissante des activités de capitaux a requis de la part des BFIs d’importants investissements, pour assurer un service intégré de bout en bout, et pour maximiser l’éventail de produits adossés à des processus « Straight To Process ». L’investissement dans cette montée en gamme technologique a été discriminant : là où les larges institutions ont pu bénéficier des effets d’échelle offerts par cette révolution technologique, les plus petites structures ont eu plus de difficulté à atteindre un équilibre et un coût par transaction viable. En parallèle, l’effort croissant des régulateurs vers davantage d’harmonisation des processus, des taxonomies et des pratiques soutient la réplicabilité des chaînes et faciliterait ainsi le recours au « servicing » /outsourcing.

Ainsi, la combinaison de la pression sur la rentabilité d’une part, et de la réplicabilité des chaînes d’autre part, pourrait encourager les BFIs à considérer davantage le « servicing ». Ce dernier les invite à redéfinir pragmatiquement la notion de concurrence en la pensant davantage au travers du prisme de la complémentarité plutôt que de la compétition :

  • D’un point de vue revenus : dans un contexte où les revenus sont en proie à des taux bas combinés à une volatilité accentuée, se positionner en fournisseur de services offre aux BFIs une source potentielle de revenus alternatifs relativement stables et moins sensibles à la conjoncture de marché. Ce potentiel de diversification des revenus étant directement corrélé aux volumes de transactions et aux niveaux de customisation des opérations prestées ;
  • D’un point de vue coûts : cette solution offre aux mandants un levier d’efficacité opérationnelle non négligeable (12-25% d’économies sur 24 mois). Le gain se concrétise via une variabilisation des coûts et un allégement des coûts de structures et d’investissements pouvant être prohibitifs pour certains. Le mandant a ainsi recours à des services immédiatement activables sans se pénaliser avec une mobilisation conséquente de capex pour les mettre en place. Réciproquement, les fournisseurs de services ont l’occasion de professionnaliser davantage leurs opérations et gagner en efficacité dans leur déploiement. Ils bénéficient encore plus des effets d’échelle en brassant des volumes transactionnels plus importants et en réduisant, en conséquence, les coûts unitaires par opération ;
  • D’un point de vue risques : cela peut être perçu comme un levier de mitigation, mais aussi comme une opportunité d’accéder aux meilleures pratiques du marché en matière de dispositif de gestion des risques.

Cependant, si le « servicing » permet au mandant de bénéficier d’un dispositif de contrôle ou de gestion de risque de qualité (en matière de risque opérationnel par exemple), il ne dissout en rien sa responsabilité qui demeure entière.

 

Les facteurs de succès

La BFI qui fournira le service doit veiller à réunir a minima quatre facteurs clés de succès :

  • Le pragmatisme et la conception de la solution par l’exemple : la conception initiale de la solution doit se fonder sur un cas d’usage concret, opérant comme un « Proof Of Concept » qui sera ensuite ajusté et adapté aux besoins ultérieurs. Le besoin doit précéder l’offre et non l’inverse. Le pragmatisme combiné à la flexibilité devrait permettre d’enrichir progressivement l’offre et de la concevoir selon une logique modulaire ajustable aux besoins ;
  • La maitrise de la couverture fonctionnelle et des zones d’expertises présentant un avantage compétitif pour le fournisseur : il est primordial pour le fournisseur de bien comprendre la chaîne de valeur de son client avec une connaissance fine des briques fonctionnelles et de leur niveau de spécificité/complexité. Cela suppose une cartographie granulaire des activités existantes ;
  • La maîtrise du risque : le fournisseur doit afficher les garanties nécessaires en matière de gestion des risques. En particulier, la sécurité des données et leur confidentialité étant primordiales, il est capital que le prestataire soit doté du bon dispositif de cybersécurité et protection de données. Le dispositif de gestion du risque opérationnel doit également être éprouvé et bien maitrisé. Il est essentiel de ne s’engager que sur les briques fonctionnelles pour lesquelles les risques sont parfaitement maitrisés ;
  • Le passage à l’échelle : il est important pour le fournisseur de réussir son passage à l’échelle et de multiplier les clients « onboardés ». Il ne doit pas rester tributaire d’un seul contrat et doit s’engager au plus vite dans une démarche de diversification. Cette approche apprenante et itérative permettra d’enrichir et d’ajuster l’offre.

Quant au mandant, il est essentiel qu’il fasse preuve de pragmatisme et de flexibilité pour arbitrer certaines complexités in- ternes au profit d’opérations plus standardisées et transférables.

À l’heure où le recours au « servicing » devient pour beaucoup de BFIs une opportunité, l’offre des mandataires se structure progressivement autour de différents acteurs se distinguant par leurs avantages compétitifs :

  • Les Banques assurent le service d’une banque par une banque. Ce type d’acteur capitalise sur son expertise et expérience éprouvée de ces opérations, ainsi que sur sa capacité à assurer un passage à l’échelle garanti tout en rassurant sur la sécurité qu’offre un cadre réglementaire renforcé.
  • Les Asset Managers capitalisent sur une tradition de services inhérente à leurs activités quotidiennes mais qui pourrait parfois souffrir d’un tropisme autour du conseil en investissement. L’offre de service pour une BFI pourrait se voir plus limitée pour le moment.
  • Les fournisseurs de services, essentiellement IT, présentent un grand avantage sur les dimensions technologiques et pourraient offrir aux BFI des solutions d’architecture optimisées. Néanmoins, leur offre reste pour le moment axée sur l’aspect IT et leur non-soumission aux réglementations bancaires pourrait alimenter la réticence des BFIs à élargir le périmètre de leurs mandats