Les risques climatiques ne sont-ils pas au final des risques de réputation ?

Un article de Florian Marsaud, professeur associé, IAE Paris Sorbonne et membre du CRSF, paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »

Est-ce bien de parler des « risques climatiques » ? Sont-ce des risques en tant que tels, c’est-à-dire qui auraient une existence sui generis ?

Sont-ce des risques comme les autres – comme peuvent l’être les risques de crédits, les risques financiers ou bien encore les risques non financiers – ou s’alimentent-ils d’autres risques en existant en dehors et au-delà de ces autres risques déjà cartographiés et gérés ?

Il est sans doute préférable de parler de facteurs de risques.

Nous pourrions affirmer que nous – ensemble des contributeurs en seconde ligne de défense des sujets climatiques – aurons pleinement réussi notre mission de ces facteurs de risques quand ils seront totalement intégrés, insérés et gérés au travers des autres risques bancaires et/ou financiers.

D’un autre côté, nous pourrions aussi objecter, qu’au final, ces facteurs de risques ont bien une existence indépendante puisqu’ils se définissent non pas en référence explicite à des risques déjà existant mais via une description particulière effectuée au travers des concepts de :

 

Risques physiques qui peuvent se définir comme représentant des pertes directes causées par les phénomènes climatiques extrêmes ou plus chroniques dont les dommages induits peuvent conduire à la destruction d’actifs physiques causant une perturbation dans la vie personnelle ou / et professionnelle. N’est-ce pas la définition des risques opérationnels dans le concept d’incidents et de pertes ?

Risques de transition qui résultent d’une transition vers une économie durable bas carbone, visant à limiter les différents impacts des activités humaines et animales sur l’environne- ment dans tous les domaines et utilisant tous les leviers de financement : octroi de crédits et financement de marché, et qui de facto ont des conséquences financières donc économiques par translation. N’est-ce pas la définition des risques de crédits dans sa fonction de financement bancaire et de risques de marché dans la gestion des instruments financiers constitutifs des réserves de liquidité ?

Arrêtons-nous un instant sur un glissement sociétal majeur à savoir demander aux banques, de plus en plus, de faire la police dans de nombreux domaines : la lutte contre le blanchiment, la lutte contre le financement du terrorisme, la lutte contre la corruption, la transparence de la vie publique et de plus en plus les orientations économiques. Faut-il rappeler que les banques sont au service du public pour les accompagner dans leurs projets et gérer leur épargne et non un service public ?

Tout cela pourrait avoir un impact très conséquent dans un secteur qui a besoin de transparence et de confiance. La banque c’est a-minima la promesse faite à tout client de tenir ses comptes et de pouvoir disposer de son argent à tout moment. L’image est donc importante et au-delà la réputation.

La réputation est définie depuis des millénaires puisqu’issue du latin reputatio qui peut se traduire par la considération, ou bien encore l’évaluation.

La réputation fait partie intégrante du goodwill, important pour certaines marques qui portent une image fédératrice. Il s’agit d’un actif incorporel et intangible permettant le futur. La réputation est une notion ethnocentrée avec l’interne et l’externe qui interagissent pour aboutir au final à la bonne réputation ou au contraire à la réputation déplorable, voire à la mauvaise réputation. Cette réputation est une des composantes de la confiance dans le système bancaire mais toute controverse peut nuire à cette bonne réputation.

La réputation est souvent associée à la notion d’image, laquelle est considérée comme un risque opérationnel dans la gestion des risques. Or la réputation est plus large car elle inclut un jugement qui peut être moral, religieux, politique… et qui va varier suivant des considérations, croyances ou utilités en fonction de besoins, intérêts et valeurs propres à tout un chacun ou des groupes de personnes.

La notion de réputation est donc propre, personnelle et évolutive. Elle est interprétable, non immuable et donc instable. Elle est dans l’air du temps un moment et à la séquence suivante peut être soit totalement inverse ou portée aux nues.

Des travaux de Barnett et Hoffman, démontrent que les impacts financiers, sociaux et environnementaux de l’entreprise sont à la base de sa réputation. Il faut donc la gérer au mieux. C’est ce que font depuis des années les sociétés de gestion en évitant, autant que faire se peut, toute controverse dans leurs investissements ou leur vote dans les assemblées générales des véhicules cotés.

L’apparition plus récente des concepts d’éco blanchiment (green washing) – qui consiste à mettre en avant des arguments écologiques pour se forger auprès du public une image écoresponsable, alors que la réalité des faits ne correspond pas, ou insuffisamment, à la teneur explicite ou implicite des messages diffusés – illustre l’importance de la réputation sur ces facteurs de risques climatiques.

Pourrions-nous alors conclure qu’au final la gestion des facteurs de risques climatiques va surtout consister à gérer la bonne réputation des banques pour éviter tout green washing ? Il semblerait bien que cela sera le défi principal des années à venir.

Il faudra d’autant plus être vigilant que la transparence totale est exigée des banques via le pilier 3 qui amène de très nombreux nouveaux « templates » à renseigner dans le cadre des rapports annuels. Dans ces mêmes rapports annuels, le volume consacré aux sujets de responsabilité sociale des entreprises (RSE), définie comme l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties, ne fait que s’accroitre.

Ces enjeux de réputation sont inhérents à la gestion des facteurs climatiques du fait qu’une banque puisse être perçue comme responsable, via son intervention, de dommages importants (financement, prise de participation…). On a bien vu ces dernières années dans le domaine de la gestion d’ac- tifs des accusations extérieures relatives à des situations de « green washing » dans les fonds ESG ou de finance durable qui peuvent atteindre la réputation des sociétés de gestion, filiales de banques. Le dernier exemple important concerne la démission du responsable de la filiale de gestion d’actifs DWS de Deutsche Bank, qui après l’ouverture d’une enquête des autorités allemandes pour fraude semble avoir promu comme durables des fonds qui ne respectaient pas les critères de durabilité indiqués dans les notices de gestion.

Au final, ces facteurs de risques climatiques sont à gérer de plus en plus sous cet angle de risque de réputation en sous-jacent des autres risques à savoir risques de crédits et risques financiers tant en banking book qu’en trading book.

Il convient de bien anticiper car il existe déjà des ONG (exemple du site « change de banque ») qui font du financement des énergies fossiles des banques un discriminant simple entre « engagement pour le climat » et « participation à l’aggravation du chaos climatique» via le relevé des encours des secteurs émissifs…

L’impact climatique sera-t-il demain un critère dans le choix d’une banque là où le changement d’une banque est souvent lié à des conditions attractives de financement du crédit immobilier ? Probablement d’où l’importance d’avoir une bonne réputation en termes de gestion des facteurs de risques climatiques.