Startups, la face cachée de la souveraineté
Un article de Michel-Emmanuel Dethuy, directeur, TNP, paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »
La guerre en Ukraine concrétise l’émergence d’un monde multipolaire où l’Europe doit s’imposer face aux autres acteurs mondiaux pour continuer à jouer un rôle significatif dans le monde.
L’Europe dispose d’atouts pour s’imposer mais elle fait aussi le constat de plusieurs menaces et fragilités : la vulnérabilité face à la coercition économique exercée par les grandes puissances et le manque de moyens et de politiques pour lutter collectivement contre ; le désaccord sur lequel jouent ces puissances pour saper l’unité de l’UE en matière de poli- tique étrangère.
De nombreux défis sur notre capacité d’innovation, la fourniture de services numériques où l’économie des données imprègnent ces discussions stratégiques.
- Conserverons-nous le niveau d’innovation nécessaire pour comprendre et accompagner les innovations technologiques clé qui éclosent actuellement ?
- Disposerons-nous de suffisamment d’entreprises européennes capables de fournir les services numériques essentiels ou devrons-nous recourir à des fournisseurs non européens tels que les GAFAM ou les BATX ? Quelle souveraineté pour des données européennes hébergées hors de l’UE ? Quels sont les impacts d’un contrôle potentiel de nos composants clés par des puissances étrangères ?
- Peut-on s’imposer dans l’économie des données, où les entreprises américaines voient leur situation de quasi monopole disputée par les chinois ?
Sur le plan de l’innovation, on peut citer plusieurs acteurs français qui apportent des avancées notables dans la vie des institutions financières, notamment :
- Perfect Memory qui construit une connaissance des clients ou une estimation du niveau de blanchiment grâce aux données sur les relations des clients et des répétitions de comportement. L’objectif de ces systèmes est de bâtir des connexions entre les données pour créer des contextes d’analyse pertinents ;
- Cardabel qui est capable de détecter et d’anticiper de potentielles menaces comme le risque de fraude, de blanchiment ou de défaut de crédit.
Pour illustrer le caractère essentiel de la donnée et de sa valeur marchande dans l’industrie financière, on peut citer le cas des contrevenants aux infractions à la circulation dont les visages s’affichent sur les arrêts de bus de Shanghai tant que ceux-ci n’ont pas acquitté une amende de 20 yuans.
Dissuasif et lourd de conséquences sur les libertés individuelles, cet exemple montre aussi les problèmes de protection des individus qui se produisent en Chine.
Ces avancées peuvent paraitre vertigineuses et loin de nous mais plusieurs instances en Europe se posent la question de l’éthique sur la gestion des données, en matière d’IA notamment.
Soucieuse de ces problèmes, l’Europe a étendu la protection des données par la loi GDPR en 2018 pour garantir une protection des droits numériques de la personne. Il suffit de regarder les séries policières sur Amazon ou Netflix pour voir que ce thème sert de ressort dramatique récurrent aux États-Unis ou en Chine. Plus sérieusement, ces menaces potentielles ou avérées ont conduit l’Europe a rappeler ses exigences en matière de transfert de données hors de l’UE avec l’arrêté Schrems II.
En France, des acteurs de référence en matière de protection des données personnelles, comme Adequacy ou Data Legal Drive, doivent compter avec des géants américains comme One-Trust qui s’imposent non seulement sur les aspects de gestion des cookies ou de la sécurité des données mais aussi sur la gestion des risques et de la conformité (GRC).
La question de fond est de savoir si l’Europe sera toujours compétitive face à des entreprises ou des startups que leurs états ou les fonds d’investissement subventionnent lourdement dans l’espoir d’avoir la prochaine arme pour s’imposer massivement sur le marché.
Tout n’est pas noir loin s’en faut. La croissance écologiquement durable est l’un des domaines dans lesquels l’Europe peut et doit continuer de briller. L’enjeu est à la fois d’encourager la transition numérique et la croissance écologiquement durable, et, de maintenir un cadre européen pour conserver les start-ups les plus prometteuses sur notre territoire.
Comme les réglementations et les critères environnementaux, de société et de gouvernance sont en train de se préciser, nous voyons émerger plusieurs problèmes
- Une complexité règlementaire avec des textes pas encore arrivées à maturité, ainsi qu’une multitude de normes, labels, et certifications ESG ;
- Des analyses chronophages, avec différentes méthodes d’évaluation et règles pour calculer sa performance ESG ;
- La lourdeur des dossiers à constituer fortement dépendante de la qualité des données fournies, et une grande variété de formats de données internes et externes à collecter.
Conscientes de ces problèmes, plusieurs startups françaises créées récemment offrent des solutions innovantes :
- Traace pour le pilotage de l’empreinte carbone afin de tenir les objectifs de décarbonation des accords de Paris ;
- Greenly pour le calcul du bilan carbone d’une entreprise ;
- HelloCarbo pour l’estimation de la réputation, des valeurs et de l’éthique de l’écosystème de fournisseurs et de clients d’une entreprise sur ces critères ESG.
Dans cette perspective, l’initiative de Plateforme Green mise en place par TNP et Bureau Veritas prend tout son sens : garantir des données de qualité validées par un tiers certificateur reconnu mondialement, Bureau Veritas, afin de donner aux grands acteurs européens les moyens d’établir ses calculs ESG pour leur donner un avantage concurrentiel certain.
En conclusion, l’Europe et la France en particulier ont des fragilités face aux autres puissances étrangères mais nous avons la chance d’être bien positionnés dans la course à l’ESG. Appuyons-nous sur ces forces, ne nous laissons pas distancer.