UNE ÉTRANGE EXPÉRIENCE, CONTRIBUANT À LA CONSTRUCTION DE L’INDIVIDU ?
L’expérience que nous vivons aujourd’hui est une expérience étrange plus que singulière.
En philosophie, l’expérience se définit comme une « épreuve personnelle qui transforme l’individu, aboutissant à une connaissance singulière, n’appartenant qu’à lui ». La sociologie et la psychologie précisent que l’expérience est « une activité subjective contribuant à la construction de l’individu, particulièrement, s’il s’agit d’expériences extrêmes ».
Le confinement que nous vivons aujourd’hui est indéniablement une épreuve personnelle (pourtant commune et partagée) qui transformera l’individu et contribuera à sa construction et à son histoire. Elle participera d’autant plus à la construction de l’individu qu’elle se révèle « extrême ». En effet, lorsque nous nous penchons sur un dictionnaire pour saisir la signification du terme « confinement », celui-ci évoque à la fois le fait d’être « confiné dans un lieu », « l’ensemble des précautions prises pour empêcher la dissémination des produits radioactifs » mais aussi « l’ensemble des conditions dans lesquelles se trouve un explosif détonant quand il est logé dans une enveloppe résistante » ou encore la « situation d’une population animale trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d’oxygène, de nourriture ou d’espace ».
Nul doute que cette période sans précédent, décrite au travers du terme polysémique de « confinement », est une expérience extrême, ne serait-ce que parce qu’elle est inédite. Une expérience inédite pour l’individu, le citoyen, mais aussi pour le consommateur ou le client, objet de ce billet d’humeur.
COMMENT LE CONFINEMENT TRANSFORME-T-IL L’EXPÉRIENCE QUE VIT L’INDIVIDU ?
Le confinement que nous vivons impacte en profondeur notre expérience de vie car il agit sur les cinq dimensions qui caractérisent une expérience : la dimension comportementale, cognitive, émotionnelle, sensorielle et sociale de l’expérience, ces dimensions étant, par nature, interdépendantes.
En premier lieu, le confinement agit sur la dimension comportementale de l’expérience, car il restreint très fortement, voire il exclut les comportements à l’extérieur de chez soi. Il impacte également la dimension cognitive de l’expérience au travers des pensées, raisonnements, réflexions qui nous viennent à l’esprit sous l’impulsion des informations issues des médias et des réseaux sociaux. La dimension émotionnelle de l’expérience est exacerbée à travers l’activation de certaines émotions telle que la peur, comme le révèlent certaines études, voire même de la colère ou la tristesse. Quant à l’activation des sens, le confinement nous réduit probablement à les mettre en veille, sauf pour les plus chanceux qui peuvent profiter du soleil, de la pelouse et des chants des oiseaux. En ce qui concerne le lien social, il est devenu plus que jamais virtuel que ce soit dans la sphère privée avec les apéros virtuels qui nous permettent de se voir et de maintenir le lien sans se contaminer et dans la sphère professionnelle avec les réunions virtuelles permises par les multiples outils à disposition.
COMMENT CE QUE NOUS VIVONS AUJOURD’HUI TRANSFORMERA-T-IL LES EXPÉRIENCES QUE NOUS VIVRONS OU AURONS ENVIE DE VIVRE DEMAIN ?
Alors comment cette expérience extrême, cette privation de liberté pour un objectif partagé impactera-t-elle nos expériences d’achat utures et les relations avec les marques ? La restriction de nos comportements a fait naître de nouvelles obligations et de nouveaux usages : utilisation des drives ou du click and collect, cessation de fréquentation des commerces et des restaurants, rupture avec les marchés, achat en ligne, logistique collaborative entre voisins pour protéger les ainés… Mais elle a également entraîné des innovations chez les commerçants pour freiner l’impact du Coronavirus (exemple des maraichers ou des commerçants sur les marchés qui vous livrent chez vous). Ces changements imposés vont-ils devenir des habitudes que les individus conserveront suite au retour à la normal (Y-aura-t-il vraiment un retour à la normal ?), retrouveront-t-ils leurs habitudes d’avant ? Ressentiront-ils un besoin exacerbé de vivre et de rattraper les expériences de shopping et de butinage manquées ? Ou réinventeront-ils les expériences d’achat en s’emparant du meilleur d’aujourd’hui et du meilleur d’hier ?
LE PHYGITAL REMIS EN CAUSE ? VERS DU « CONTACTLESS » DANS L’ESPACE PHYSIQUE ?
Bien sûr, le comportement devra être en accord avec toutes les pensées inédites que la crise sanitaire a généré. L’individu, citoyen, submergé de pensées inédites et d’émotions fortes, va indéniablement évoluer. La peur des pandémies pourra transformer les expériences vécues dans la sphère physique (magasins, agences, centres commerciaux…) avec un attrait du « sans contact » tant dans les modes de paiements que dans les relations avec les objets et personnes. Quid du dispositif de McDo avec sa nouvelle expérience client (fortement augmentatrice du panier d’achat) de prise de commandes sur des bornes, lieux probables de diffusion du virus ? Quid du « phygital », ces écrans à disposition des clients dans les points de vente ? Et de manière plus générale, allons-nous rechercher des « contactless stores » ? Des passages en magasin sans interaction, ni avec la monnaie, ni avec le personnel pour réduire les inquiétudes à la manière d’un Amazon Go ou d’un « Scan and Go » ? Le commerce en ligne, par nature, sans contact, va-t-il, être renforcé par la crise ? Ou à l’inverse, le confinement, qui joue sur la dimension sociale de l’expérience, en interdisant les interactions sociales, va-t-il exacerber le besoin de rencontre et d’échange ? Va-t-on assister, comme le souligne, le psychiatre Boris Cyrulnik, à une explosion des relations et à un nouveau souffle d’Humanité ?
A moins que le confinement ne provoque une démultiplication des interactions sociales sans danger, à l’instar de ces interactions par écran interposé ou d’une Netflix Party.
En tout cas, rien ne sera plus comme avant : le consommateur est aussi et surtout un habitant de cette planète, un citoyen qui au-delà de la manière dont il fera ses courses et entrera en contact avec les entreprises, risque de changer profondément ce qu’il consomme… Pourquoi ? Parce que le monde entier est en état de « dissonance cognitive » : il a été soumis à une information, la gravité du Covid-19 qui est en contradiction avec son système de croyance selon lequel il pensait vivre dans un monde relativement sûr. Cette information crée un profond inconfort psychologique, qui n’est pas soutenable. Cela peut se traduire par deux mécanismes psychologiques, soit l’individu déforme la nouvelle information, en remettant en cause sa gravité ou les raisons de sa gravité (le Covid-19 a fait moins de morts qu’une grippe, cela est grave car cela a été mal géré) afin que l’information soit en cohérence avec son système de croyance, soit il met en cause son système de croyance et sa perception du monde, ce qui peut profondément l’impacter en tant qu’individu et qu’acteur qui consomme. A méditer !
Et pendant que l’on est en télétravail et que la nature se refait (un peu) une beauté, je vous souhaite un confinement le plus agréable possible et je vous donne rendez-vous en mai pour les prochains Digidécodages du jeudi.