La reforestation et la compensation carbone ne changent pas les comportements
Un article de Sylvie Bénard Fondatrice et experte environnement, La Dame à la Licorne, paru dans le livre blanc « Crise énergétique et climatique : quelles stratégies innovantes ? »
Il est important d’être vigilant à la sémantique utilisée en matière de « décarbonation » des entreprises. En effet, nous sommes tous, êtres vivants, faits de carbone. Retirer le carbone, c’est retirer la vie. C’est pourquoi l’objectif ne doit pas être la suppression du carbone mais la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour préserver la biodiversité, les écosystèmes, le climat… Il n’existe pas de solution unique pour réduire les émissions de CO2. La démarche est plus complexe car il y a des liens avec la biodiversité, l’eau, les matières premières…, nous devons prendre les meilleures décisions et remettre en cause nos modes de consommation en fonction de ce que nous dit la science. Il s’agit d’un travail de « haute couture » spécifique à chaque entreprise.
Les modalités du changement
Les outils de mesure des émissions de CO2 existent. Nous avons d’abord besoin de professionnels sérieux afin d’éviter les bilans carbones approximatifs, qui négligent des étapes et aboutissent à des décisions contre-productives. Nous devons ensuite définir un plan d’action adapté à chaque entreprise en analysant le cycle de vie, le bilan de la biodiversité… pour prendre des décisions en fonction des vrais enjeux spécifiques à leur chaîne de valeur. Les solutions déployées doivent être adaptées à chaque entreprise, par exemple en matière d’énergie, de transports, d’isolation des bâtiments, de matières utilisées…
Nous devons prendre en compte les scopes 1, 2 et 3 en privilégiant les scopes 1 et 2. Il est trop facile de se focaliser sur le scope 3 en demandant aux autres de faire ce que l’entreprise ne fait pas elle-même. Il convient d’imaginer des solutions en matière de réduction des déplacements, de construction des bâtiments, de relocalisation, de consommation d’énergie… Tous les collaborateurs de l’entreprise doivent être embarqués dans la démarche de réduction des émissions de CO2. L’intérêt du bilan carbone est d’être pédagogique. Il faut présenter les résultats à toute l’entreprise et en faire un projet d’entreprise. Enfin, l’agriculture doit prendre toute sa place dans la lutte contre le changement climatique. L’alimentation a un impact fort en termes d’émissions de CO2. Les terres agricoles ont des capacités de captage de carbone plus importantes que les océans et les forêts. Nous pouvons faire évoluer les pratiques agricoles pour qu’elles deviennent davantage stockeuses de carbone via l’agriculture régénératrice et protectrice de la biodiversité. Il s’agit de pratiques qui visent à restaurer les systèmes agricoles, notamment via des rotations de culture.
Les changements de comportement
Le changement des comportements n’est pas utopique mais il prend du temps. Au début de la société de consommation, il y a eu un changement important des comportements des consommateurs, dont le mode de vie était alors plus frugal. Pourquoi le changement ne serait-il pas possible dans l’autre sens ?
Il est important que les grandes marques soient exemplaires, qu’elles portent les bons messages et soient cohérentes dans leur discours et leurs actes. On peut faire passer beaucoup de messages par son propre comportement. Le luxe crée la tendance via les influenceurs et via les célébrités. Il n’y a rien que le luxe abhorre davantage que de passer pour ringard. Nous devons arriver à rendre les comportements de surconsommation ringards. Nous devons également donner le choix aux clients, par exemple entre la réduction de l’emballage des produits – ou la réduction du délai de livraison d’une commande –, et la prise en compte vertueuse de l’environnement. Le marketing est souvent frileux par rapport aux changements proposés aux clients. Le suivisme de la concurrence n’est pas le meilleur moyen d’innover. L’évolution vient plus souvent du point situé en dehors de la ligne que sur la ligne. Enfin, ne soyons pas dupes. La reforestation et la compensation carbone ne changent pas les comportements.