Les clés du marché chinois

IAB Cartier

Un article de Renaud Litre, senior VP et directeur commercial, Cartier, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »

 

Au début des années 2010, la Chine a connu une crise du marché du luxe à la suite de la campagne anti-corruption décidée par le président Xi Jinping. Cet événement a entravé le développement du luxe pendant plusieurs années.

À partir de 2015, les marques de luxe occidentales présentes sur le marché chinois ont emprunté des trajectoires différentes. Certaines ont fait le choix de s’adapter à la Chine. D’autres ont conservé un modèle international qu’elles ont appliqué à la Chine. Les marques qui ont réussi à prendre en compte l’environnement du pays tout en gardant leur identité et leur singularité ont pleinement bénéficié du rebond du marché chinois.

 

 Un marché hors norme

Le marché du luxe en Chine se distingue par plusieurs éléments différenciants.

  • Size : le marché croît à une vitesse vertigineuse sous la pression d’une classe moyenne supérieure en constante expansion, qui s’enrichit très vite.
  • Scale : l’appétit des consommateurs pour le luxe est énorme et le marché est démesuré, notamment en ce qui concerne la distribution et le digital.
  • Speed : la vitesse d’évolution et la capacité d’adaptation au changement des consommateurs sont uniques. La clé du succès des marques occidentales en Chine consiste à devenir locales. Les marques de luxe doivent s’adapter aux modes d’interaction des clients chinois.

 

L’adaptation au marché

Dès 2015, Cartier a pris un virage important en adoptant une approche décentralisée et adaptée au marché chinois. Pour vendre en ligne à une clientèle jeune et ultra-connectée, il convient de s’adapter aux spécificités de l’écosystème. Or, l’écosystème chinois est radicalement différent de celui des autres continents. Il est riche et complexe, avec une multitude de plateformes aux usages différents de ceux de l’Occident, comme WeChat, Tmall, JD.com, Weibo…

Cet écosystème évolue beaucoup plus vite qu’en Occident, avec des « business models » en constante métamorphose. La Chine a une forte avance dans de nombreux domaines, que ce soit l’expérience client via les mobiles ou les interactions avec les réseaux sociaux et les plateformes.

 

La crise du Covid-19

En 2020, avec la crise sanitaire du Covid-19, les consommateurs chinois ont cessé de voyager de façon massive et se sont rapatriés sur leur marché domestique. Les marques qui avaient développé une forte implantation en Chine en ont pleinement tiré parti. Dès 2021, avec le rapatriement des achats de luxe, le marché domestique chinois devrait devenir deux fois et demi plus important qu’en 2019, passant de 10 à 25 % du marché mondial du luxe.

 

La place centrale du digital

En Chine plus que dans le reste du monde, le digital est un facteur clé de réussite auprès des consommateurs, qui passent presque exclusivement par leurs smartphones pour s’informer, rechercher et acheter des produits de luxe. La jeune génération est en permanence branchée sur les ré[1]seaux sociaux. Les Chinois sont des consommateurs «phygitaux» qui ne connaissent pas de frontières entre le «online» et le «offline». Il existe en Chine une véritable cohérence entre le monde digital et le monde physique. Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur pour connecter les marques et les consommateurs autour d’une vraie relation individualisée.

Le poids des plateformes est énorme. L’Internet chinois et les plateformes d’e-commerce, comme Taobao, Tmall, JD.com ou Pinduoduo, sont des passages incontournables pour entrer en contact avec les millennials et les digital natives, qui sont les premiers clients du luxe en Chine. Ainsi, l’espace dédié au luxe de la plateforme Tmall, « The Luxury Pavilion », accueille plus de 200 marques.

Grâce aux réseaux sociaux, Cartier a pu établir une relation «one to one» avec ses clients et sa communauté. Ainsi, WeChat est un véritable outil de connexion qui permet d’entrer en contact et de créer une relation individualisée avec les consommateurs.

 

La protection des données

L’approche de la protection des données constitue un autre élément de différenciation du marché chinois. En Occident, les consommateurs ont la fausse perception d’être anonymes sur les réseaux sociaux. En Chine, la notion d’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas. Toutes les interactions se font à visage découvert. Les consommateurs chinois acceptent que les marques exploitent leurs données et attendent qu’elles répondent à leurs besoins exprimés.

 

L’évolution des consommateurs

La vitesse d’évolution et de sophistication des consommateurs chinois est également une différence majeure par rapport aux autres continents. Il y a quelques années, la Chine a rencontré des problèmes de contrefaçon avec les produits de luxe occidentaux. Puis, elle a commencé à déposer des brevets et à s’intéresser à la protection intellectuelle de ses créations. La Chine évolue très vite sur ce sujet. Elle pourrait adopter des règles encore plus strictes que le cadre juridique occidental.

 

L’avenir du luxe en Chine

La hausse vertigineuse du volume des ventes sur le marché du luxe chinois ne signifie pas la massification du luxe. Cependant, les marques de luxe doivent éviter la banalisation. Elles doivent créer les bons territoires et les bons niveaux d’engagement. Elles doivent développer leur communication pour empêcher toute standardisation. Elles doivent enrichir en permanence leur relation avec les consommateurs.

La Chine est une grande civilisation et pas seulement un marché pour le luxe occidental. Elle a sa culture, ses créations, ses marques. Mais elle reste fondamentalement amoureuse de la France. Une marque de luxe comme Cartier, qui s’affirme française, fait rêver les Chinois.

Les marques de luxe chinoises progressent rapidement et il y aura un jour un label de qualité « made in China ». Les marques occidentales doivent s’y préparer.