L’industrie automobile européenne a besoin de retrouver une dynamique

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Un article de Jean-Pierre CORNIOU, auteur de « L’industrie automobile européenne en 2035« , paru dans le livre blanc « La révolution des mobilités ».

2035, ce n’est que dans dix ans ! Pour les constructeurs européens, les défis que comporte l’électrification du parc de voitures neuves, à marche forcée pour atteindre l’objectif de ventes de 100 % de véhicules à zéro émission en Europe en 2035, impliquent une feuille de route offensive. Les principes sont désormais clairement établis, et l’Association Européenne des Constructeurs Automobiles (ACEA), autrefois réticente, plaide aujourd’hui en faveur d’une stratégie de décarbonation ambitieuse et engageante. L’industrie, ayant déjà investi 250 milliards d’euros dans cette transition, doit impérativement en assurer le succès.

Depuis l’élection de Donald Trump, l’urgence est palpable. Le 16 janvier 2025, Ola Källenius, président de l’ACEA et de Mercedes-Benz, a adressé une lettre aux dirigeants européens pour demander une clarification du cadre d’exercice de l’activité des constructeurs européens. Il y réaffirme son engagement en faveur de la décarbonation et de la transition électrique, tout en plaidant pour la préservation de la compétitivité du secteur.

En 2025, l’industrie automobile fait face à une double menace : d’une part, le risque de lourdes pénalités pour non-respect de la norme d’émission de 95 g/km de CO2, qui pourraient atteindre jusqu’à 15 milliards d’euros en une seule année ; d’autre part, la perspective de nouvelles barrières commerciales imposées par les États-Unis. Dans ce contexte incertain, des décisions rapides s’imposent.

L’année 2024 a été marquée par l’accumulation de défis majeurs pour l’industrie automobile européenne qui doit, réussir sa transition digitale et sa transformation énergétique et en même temps consolider sa position concurrentielle dans un marché attentiste.

Confrontée à des hausses de coût, notamment de l’énergie et des salaires, l’industrie doit impérativement retrouver des marges de compétitivité, en particulier par rapport à ses concurrents chinois mais surtout pour financer sa mutation. C’est donc un vaste chantier de transformations que les industriels doivent mener à bien tout en tentant de convaincre leurs clients de l’attractivité de leur offre produit.

Un marché atone

Les incertitudes concernant la demande automobile se sont confirmées, avec 10,6 millions de véhicules vendus sur l’année 2024, ce qui représente un marché en faible croissance de 0,8 %. Avec 1 718 000 vendues en 2024, le marché français des voitures particulières a connu une baisse de 3,2 % par rapport à 2023, faisant tout de même mieux que l’Allemagne (-7,1 %) et l’Italie (-4,9 %) tandis que l’Espagne est le seul grand marché à avoir enregistré une hausse de 7,1 %.

Le marché des véhicules électriques a perdu de sa dynamique en 2024, avec une baisse de 1 % par rapport à 2023 en France et de 5,9 % pour l’ensemble du marché européen. Les voitures électriques représentent 13,6 % du marché total tandis que les hybrides rechargeables constituent 7,1 % du marché automobile global européen.

Quant aux hybrides simples qui représentent 30,9 % du marché français, elles séduisent les consommateurs, ravis de faire un effort sur leur consommation de carburants fossiles sans changer d’habitudes ni investir des sommes importantes. Les SUV continuent, malgré leur réputation énergétivore, d’attirer les consommateurs et totalisent 49 % du marché en 2024.

On constate que le marché est hésitant car pour les consommateurs opter pour un véhicule à batteries demeure un choix difficile dans un contexte technologique et fiscal encore flou. La transition par l’hybride est une réponse partielle si elle ne remplit pas pleinement les objectifs de réduction des émissions de CO2.

Le manque de tonus du marché européen se traduit aussi par le vieillissement du parc. Selon l’ACEA, qui vient de faire paraitre en janvier 2025 son rapport sur les véhicules en circulation sur les routes d’Europe, l’âge moyen du parc continue de croître. Il y a 279 millions de véhicules en circulation en Europe, dont 249 millions de voitures et 30 millions d’utilitaires légers, dont 90 % sont diesels. On compte également 6 millions de camions, à 96 % des diesels, et 680 000 bus diesels à 89,2 %. La décarbonation de cette flotte au rythme actuel prendra beaucoup plus de temps que les échéances de 2035 et 2050 ne l’envisagent. Il n’y a que 3,9 % du parc de voitures qui sont électriques, à batteries et hybrides rechargeables. On note que l’âge moyen des voitures européennes est de 12,5 ans et la distance annuelle moyenne parcourue est de 12 346 km, or des voitures anciennes pérennisent un niveau d’émission de CO2 élevé. Il faut donc accélérer la mutation du parc.

De plus, l’industrie européenne souffre, sur son territoire, du vieillissement de ses usines et de son personnel alors qu’elle a besoin de recruter de nouveaux profils techniques.

Cette crise se traduit par des surcapacités et donc des coûts de fonctionnement des usines qui pèsent sur la compétitivité. Ainsi, des plans sociaux sont annoncés en Allemagne chez les constructeurs et les équipementiers, mais également partout ailleurs en Europe. Volkswagen par exemple, a précisé son projet de réduction des effectifs, soit 35 000 personnes d’ici 2030, c’est à dire 29 % des effectifs européens du groupe. Mais le groupe a pu négocier un plan avec l’IG Metall, sans fermeture d’usine ni licenciement sec, les syndicats ayant préalablement lancé une série de mouvements sociaux. À l’inverse, Bosch va supprimer en Allemagne 5 500 emplois, ZF 14 000 et Ford 4 000. Le CLEPA (Association européenne des fournisseurs de l’automobile) annonce qu’en 2024 ce sont 54 000 emplois qui ont disparu chez les fournisseurs.

Pour faire face à la concurrence chinoise, les constructeurs européens doivent adopter une stratégie plus élaborée et offrir des véhicules électriques attractifs. La transition rapide vers l’électromobilité est cruciale pour l’avenir de l’industrie automobile européenne.

La Chine confirme son dynamisme électrique

L’industrie automobile chinoise en 2024 a continué de croître de 4,5 %, avec une production de 31,4 millions de véhicules dont 12,8 millions de véhicules à énergie nouvelle, soit 40 % du marché. Les exportations chinoises ont également atteint des niveaux record, avec 5,3 millions de voitures exportées.

De surcroît, la Chine confirme, mois après mois, son statut de leader en matière de production et d’exportations. Les véhicules à batteries représentent 60 % de cet ensemble, alors que les hybrides rechargeables, qui connaissent un véritable engouement de la part de la clientèle chinoise, s’élèvent à 40 % de la production, en croissance de 80 %. Les exportations continuent de battre des records : 5,3 millions de voitures ont été exportées durant les onze premiers mois de 2024, soit une croissance de 21 % en un an. L’industrie chinoise mise également sur les véhicules intelligents et y consacre des investissements majeurs. Les constructeurs nouent des partenariats avec les spécialistes de l’électronique et du logiciel embarqué, comme Huawei, Baidu et Alibaba, pour concevoir des plateformes recourant massivement à l’IA. L’industrie automobile constitue dès lors un écosystème diversifié intégrant les batteries, la plateforme intelligente et l’équipement actif du véhicule comme l’infotainment. La Chine, consciente de l’importance de la cohérence industrielle et technique, a conçu et déployé un plan de prise de leadership sur le marché mondial des véhicules électriques connectés et rien ne l’arrêtera.

L’ambition exportatrice de la Chine est certes freinée par une augmentation des droits de douane aux frontières des États-Unis et de l’Union européenne, mais sa stratégie est de contourner ces marchés, emblématiques et pourtant complexes, afin de couvrir le reste du monde. Ainsi au Mexique, non seulement les marques chinoises sont présentes sur le marché, mais si on ajoute les véhicules d’autres marques fabriquées en Chine, l’industrie automobile chinoise représente déjà 20 % du marché en 2023. D’autre part, les équipementiers chinois sont extrêmement dynamiques sur le marché mexicain ; plus d’une vingtaine de projets industriels sont identifiés en 2024. Le même scénario se développe en Asie où les constructeurs et équipementiers chinois implantent leur écosystème pour bénéficier des accords douaniers. Les pays comme la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines accueillent avec intérêt les usines chinoises.

L’électrification du parc ne peut se faire que par la diversification de l’offre

Pour faire face à la menace chinoise, que les constructeurs ont trop longtemps sous-estimée, les constructeurs américains, européens et japonais répondent par une stratégie produit plus élaborée, en bénéficiant, pour un temps, de la protection que procurent des tarifs douaniers dissuasifs. Les États-Unis imposent 100 % de droits de douane sur le véhicule électrique chinois, l’Europe entre 7 % et 37,5 % de taxe supplémentaire aux 10 % existants. Cependant, seule une offre attractive peut constituer un rempart durable. L’acclimatation du véhicule électrique auprès de la clientèle implique une démarche active des constructeurs, de leur réseau de distribution et de l’écosystème automobile. Ce sont 14 millions d’emplois qui sont en jeu eu Europe dans le secteur de l’automobile. Il est donc clair que toute tergiversation sur la mutation vers l’électromobilité serait fatale à l’industrie européenne au moment où la Chine déploie une capacité industrielle et économique capable de satisfaire les clients de la planète entière. Une étude, effectuée auprès de 23 000 conducteurs de véhicules électriques dans 18 pays, publiée par l‘Observatoire des énergies alternatives de la commission européenne, montre que 92 % des conducteurs de voitures électriques ne reviendront jamais vers un autre mode d’énergie, à la fois pour contribuer à la réduction des émissions de CO2, mais aussi pour bénéficier de coûts de fonctionnement très inférieurs au moteur à combustion interne. Pour convaincre la clientèle européenne de migrer vers l’électrique, il faut alors réunir trois conditions : une offre diversifiée avec des modèles d’entrée de gamme abordables, la poursuite de l’équipement en bornes de recharge, notamment en ville et une stabilisation des aides et de la fiscalité. Les constructeurs qui montrent leur détermination à répondre à la demande en bénéficient, ce qui est le cas de Renault.

Jean-Pierre CorniouAuteur de L’industrie automobile européenne en 2035