La création de l’’AMLA contribuera-t-elle au sursaut de l’Europe

Bannière fine - Les Histoires de Demain - Anti Money Laundering Authority

Un article de Rafaël MASSIANI Directeur Compliance and Regulatory Advisory TNP, et Pol ROLAND-BILLECART Directeur Compliance and Regulatory Advisory TNP, paru dans le livre blanc « Comment réussir le sursaut de l’Europe ? ».

La mise en œuvre de l’AMLA (Anti Money Laundering Authority) est l’aboutissement d’un processus volontaire d’européanisation et de mutualisation des meilleures pratiques en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Les politiques mises en place depuis quelques décennies, en particulier lors des vingt dernières années, ont tendu à rendre opérationnelles les recommandations tirées des instances internationales telles que le GAFI, l’ONU, l’OCDE ou d’autres organismes indépendants et mondiaux. Après quelques mois d’échanges, l’AMLA ouvre f inalement ses bureaux à Francfort début 2025.

Cette construction a vu l’émergence de 54 superviseurs nationaux parmi les 27 membres de l’UE, dont les ambitions sont de garantir les meilleures pratiques de surveillance dans le cadre de la LCB-FT. Parmi eux, la France fait figure de bon élève, en témoigne le dernier rapport du GAFI sur cette thématique en 2023. En effet, les établissements financiers présents en France ont mûri, accompagnés par l’ACPR, des dispositifs de sécurité financière de plus en plus structurés, en particulier les banques et les compagnies d’assurance. De plus, l’arrivée de plusieurs initiatives autour de l’IA permet aux acteurs assujettis de continuer à perfectionner ces dispositifs.

Si la France se démarque, un constat s’impose : tous les pays de l’UE n’ont pas mis en œuvre les mêmes moyens pour garantir un niveau de sécurité financière cohérent à l’échelle de l’Europe.

Ce déséquilibre évident entre les membres de l’Union porte préjudice à la qualité des meilleurs dispositifs en n’assurant pas la continuité des contrôles dans l’espace face à des clients multi bancarisés ayant parfois des activités dans plusieurs États.

L’AMLA supervisera dans un premier temps directement 40 établissements financiers européens exposés au risque de LCB-FT, dont au moins un par État membre, et disposera de pouvoirs de sanctions financières. Au-delà de ce périmètre, elle n’aura cependant pas vocation à se substituer aux prérogatives des différents superviseurs nationaux, mais elle a défini un certain nombre d’axes prioritaires à adresser.

  • L’harmonisation des pratiques de supervision des entités financières
  • Le renforcement de la coopération entre les autorités nationales
  • L’amélioration de la transparence des flux financiers. En particulier, la régulation des prestataires de services de crypto-monnaies fera partie des sujets sensibles adressés.

L’AMLA a commencé à établir des protocoles de coopération avec les autorités nationales avec la mise en place de réseaux d’échange d’informations et de meilleures pratiques. En outre, des consultations publiques ont déjà eu lieu afin d’obtenir des retours sur ses propositions de règlementation. Ces échanges sont une occasion pour les parties prenantes de partager leurs opinions et suggestions.

En effet, un certain nombre de défis s’imposent aux différents acteurs, qu’il s’agisse des régulateurs nationaux ou des acteurs assujettis. La volonté d’harmoniser suppose une coopération renforcée certes, mais également une applicabilité des mesures standardisées. Or, la compatibilité de certaines mesures avec les capacités opérationnelles des établissements est une gageure. Les spécialistes de la conformité ont identifié, à tout le moins en France, un certain nombre d’impacts très réels et concrets sur leurs organisations.

À titre d’illustration, une des mesures prévues dans les nouveaux Règlements consisterait à caper la fréquence des revues périodiques de la connaissance client à mettre en place au sein des établissements. Un délai maximal de 5 ans entre deux revues d’un dossier client au risque faible, tel qu’évoqué dans la préparation de ces Règlements, aurait un impact significatif sur les volumes de dossiers à revoir. En effet, pour certains établissements, cette fréquence est parfois supérieure à 5 ans, et la réduire d’un ou deux ans pourrait impacter de manière significative le dimensionnement des ressources affectées à cette activité.

Au-delà des aspects organisationnels qui pourraient être modifiés et entraîner des surcoûts, se pose la question de l’applicabilité de la standardisation face à des pays dont les cultures et les géographies sont variées. Les habitudes instaurées entre les établissements et leurs clients finaux devront parfois être profondément revues et modifiées afin de correspondre aux attentes de la nouvelle autorité.

Le nouveau paquet AML, qui comprend la 6ème Directive, un Règlement européen et la création de l’AMLA, marque une forme d’accélération de l’européanité des textes. La limitation jusqu’alors des textes européens à des Directives devant être retranscrites en droit national, menait à des interprétations locales.

Avant l’AMLA, le tournant des années 2020 a marqué une première accélération avec la mise en place de deux instances :

  • Le « Financial and Economic Crime Centre » d’Europol, pour faire face aux menaces croissantes qui ignorent les frontières,
  • La base de données EuReCa, développée par l’Autorité Bancaire européenne, qui vise à centraliser les « déficiences significatives » en termes de LCB FT pour les établissements f financiers de l’Union européenne.

Jusqu’où ira cette européanisation ? Et surtout, à quelles fins ? Un renforcement des exigences à l’échelle du continent, avec un arsenal législatif toujours plus conséquent, peut affecter la compétitivité des acteurs de services financiers européens dont l’objet social n’est pas centré sur la sécurité et la sûreté des nations.

Un projet de Ficoba – fichier centralisé des comptes bancaires – à l’échelle de l’Europe pourrait avoir du sens pour améliorer la transparence entre les États membres. En effet, les banques ont souvent des activités dans plusieurs pays, à travers leurs f iliales, succursales ou de la Libre Prestation de Service, et les clients, y compris les personnes physiques, peuvent se bancariser dans plusieurs juridictions.

Mais l’harmonisation des pratiques ne met-elle pas en péril le concept d’approche par les risques, cœur de la LCB FT, suivant laquelle chaque établissement met en place les mesures qui lui sont parfaitement adaptées, et non des mesures standardisées, que ce soit au niveau national ou européen ?

Rafaël MassianiDirecteur Associé
Pol Roland-BillecartDirecteur