Le plan de transition pour le secteur financier

Bannière fine- Les Histoires de Demain - Plan de transition secteur financier

Un article de Marc IRUBETAGOYENA, Responsable du Stress Testing et Financial Simulations – BNPP, Maxime DRUAIS, Responsable projets transition énergétique – BPCE, Mickael PLANCHET Expert réglementaire, Anne-Claire DUCROCQ Responsable reporting – ESG BNP PARIBAS, Adlen BOUCHENAFA, Associé – TNP, Sandy HUET Directeur associé – TNP, et Nicolas RENOUS Directeur – TNP, paru dans le livre blanc « Comment réussir le sursaut de l’Europe ? ».

La finance durable est devenue une priorité clé pour les banques européennes. Alors que des centaines de milliards d’euros doivent être dirigés annuellement vers l’atteinte des objectifs de durabilité de l’Union européenne (UE), la compréhension et la gestion des risques financiers engendrés par la transition climatique seront essentielles pour atteindre les objectifs de neutralité carbone de l’UE.

Pour identifier, mesurer, gérer et permettre la supervision des risques de transition climatique, les banques revoient leurs systèmes internes, modèles et processus, en particulier ceux liés à la collecte de données, à la gestion des risques et aux processus d’approbation de crédit. Comme le profil de risque des portefeuilles des banques reflète celui de leurs clients, pour atténuer le risque pris, les banques approfondissent rapidement leur engagement avec les clients pour comprendre leurs plans de transition et les aider dans la transformation nécessaire de leurs activités.

Le plan de transition au Changement Climatique du secteur f inancier attendu en Europe (banques, assurances et gestionnaires d’actifs) vise, pour chacun de ces métiers, à préciser la contribution de leurs activités à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique (stratégie business, moyens mis en œuvre, risques et métriques associés, pilotage des risques et gouvernance mise en œuvre, transparence et publication,…). Il s’inscrit notamment dans le cadre obligatoire à venir en 2025 de la CSRD (directive prévue en 2025 relative à la publication, par les entreprises, d’informations en matière de durabilité) et plus généralement dans le cadre des attentes des superviseurs et de la société civile.

Pour les activités de financement, cette démarche exige notamment des banques d’identifier les risques climatiques à court, moyen et long termes liés à leurs clients financés et de déterminer les moyens mis en œuvre pour atténuer ces risques et les accompagner sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris. Plusieurs natures de risque sont à appréhender : les risques environnementaux que le client fait peser sur son environnement et ceux que l’environnement génère sur leurs modèles d’affaires (notamment ces risques climatiques dits de transition au regard des évolutions règlementaires et des attentes de la société face aux enjeux de l’Accord de Paris).

La mesure des risques de transition liée aux financements des clients est donc centrale pour définir un plan de transition et d’adaptation à l’échelle de la banque. Elle repose sur la mesure carbone liée aux activités des clients et sur la compréhension de leur stratégie climatique dans le temps. Si ces mesures ne sont pas encore standardisées, des méthodologies sont néanmoins aujourd’hui disponibles pour aider les institutions financières à les formaliser. De nombreuses banques et institutions financières s’appuient notamment sur leur démarche d’engagement initiée depuis plusieurs années dans le cadre commun des Alliances Net Zero de la Glasgow Financial Alliance.

Pour les banques, la Net Zéro Banking Alliance (NZBA) constitue en effet un cadre exigeant permettant d’adresser une approche quantifiée et comparable pour aligner progressivement leur portefeuille de financement à une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris.

Pour chacun des secteurs les plus carbo-intensifs, le cadre de cette Alliance exige la mesure moyenne constatée à date des émissions, ou intensités carbone financées, et la publication d’un objectif Net Zéro de décarbonation (à l’horizon de 2030), associé à un plan d’action pour l’atteindre. Ce cadre, structurant pour la comptabilité des trajectoires extra-financières, constitue une première réponse concrète à la mesure des risques de transition et des moyens d’atténuation mis en œuvre par la banque.

Ces mesures de risques se déclinent déjà, pour les institutions f inancières, en plans de transition qui vont bien au-delà de simples plans d’actions en impactant l’ensemble de leurs processus. À titre d’exemple, accompagner les projets de rénovation énergétique pour des logements individuels et des copropriétés est un enjeu crucial pour les banques de détail dans leur devoir de conseil. Sécuriser la valeur du patrimoine de leurs clients et atténuer les risques liés aux financements de passoires énergétiques, au regard des volumes sur le crédit habitat, sont des défis stratégiques. Assurer la collecte d’informations sur les émissions carbone des logements, conseiller et sensibiliser massivement les clients, développer des offres commerciales facilitant les parcours et les financements de la rénovation énergétique sont autant d’adaptations des modèles d’affaires entreprises par de nombreuses banques.

Néanmoins, ces cadres d’Alliance ne couvrent qu’une partie des secteurs et des chaînes de valeur. Ces approches doivent progressivement s’étendre à l’ensemble des entreprises (petites et grandes) pour se décliner dans des plans d’ensemble d’accompagnement des clients et de formation des conseillers et chargés d’affaires sur ces enjeux. Accompagnement et formation sont une des clés pour rendre accessible la transition à tous.

D’autres enjeux environnementaux sont à analyser au cas par cas et à intégrer dans les processus d’analyse de crédit et d’offre d’accompagnement des clients comme les risques climatiques physiques et ceux liés à la biodiversité, auxquels le bancassureur et ses clients sont confrontés. Ces risques sont particulièrement prégnants pour certains secteurs, comme l’agriculture, où les risques d’érosion des sols et d’accélération des aléas climatiques impactent directement la résilience des modèles économiques des clients concernés.

En synthèse, le processus d’élaboration, de divulgation et de mise en œuvre d’un plan de transition crédible contribue pour le secteur financier à :

  • Maîtriser les risques de transition et physique auxquels le bancassureur (et ses clients) est confronté
  • Définir l’ampleur de la transformation du modèle d’affaire que l’institution financière devra inévitablement faire évoluer pour accompagner ses clients dans leurs transitions ;
  • Anticiper les conséquences financières de la transition et la manière stratégique de se prémunir contre celles-ci
  • Expliquer aux parties prenantes les actions réalisées, dans un contexte de besoin toujours plus grandissant d’acculturation face à des enjeux évolutifs, multi factoriels (y compris sociaux), et encore insuffisamment appropriés (la vérité scientifique n’a souvent que peu de valeur aujourd’hui dans certains cercles sociaux)

Les futures instructions de l’EBA sur les plans de transition vont demander une insertion opérationnelle de ces approches dans chacune des lignes de défense d’un établissement financier. L’appréciation de la qualité du plan d’une institution entrera à terme progressivement dans l’évaluation des exigences de pilier 2 de capital. Des stress tests climatiques devront être également conduits pour évaluer la résilience des banques face aux risques climatiques. Comptons aussi sur le contrôle des autorités compétentes, dont l’expertise s’est considérablement renforcée ces trois dernières années avec des équipes dédiées et qui auditeront ces trajectoires de transition pour lutter notamment contre le greenwashing.

Cependant, bien que les banques fassent des progrès tangibles, elles sont confrontées à de nombreux défis opérationnels et de mise en œuvre, dont beaucoup ne sont ni originaires du secteur bancaire, ni inhérents à celui-ci. En effet, l’anticipation des évolutions climatiques repose avant tout sur la capacité à collecter des données clients sur le climat fiables, quelles que soient les tailles d’entreprises : elles seront la clé de voûte de l’évaluation des risques liés aux évènements climatiques et du renforcement du rôle des banques dans l’accompagnement à la transition de tous leurs clients.

Bien que les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) soient susceptibles d’augmenter et d’aligner la quantité et la disponibilité des données communiquées par les sociétés, un certain nombre de défis restent à relever. Premièrement, il existera encore des différences quant à la qualité de contenu, la quantification des impacts et la granularité des communications des entreprises, du moins à court terme. Deuxièmement, la période de déploiement progressif des exigences de communication, tant sur les volets à couvrir que sur la taille des entreprises contraintes de communiquer, entraînera invariablement des retards dans la disponibilité des informations pour toutes les contreparties de crédit d’un établissement financier. Troisièmement, un grand nombre d’entreprises européennes et non européennes reste en dehors du champ d’application des exigences de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). La vue d’ensemble du portefeuille d’une banque restera, de ce fait, limitée et soumise à l’utilisation de « proxys » durant de nombreuses années. Enfin, pour les communications liées au climat, à la biodiversité et aux écosystèmes, la disponibilité des informations est encore restreinte par la notion de matérialité de la CSRD : seules les entreprises qui évaluent ces aspects comme des impacts, risques et/ou opportunités matériels, partageront des données.

En conclusion, les établissements financiers devront développer des plans de transition crédibles et de qualité pour gérer les risques climatiques et soutenir la transition vers une économie bas-carbone. Les banques doivent intégrer les enjeux climatiques dans leurs processus stratégiques et construire des scénarios climatiques plausibles pour évaluer leur résilience face aux risques climatiques. La digitalisation et l’amélioration de la qualité des données ESG (Environnement, Social et Gouvernance) sont des facteurs clés de succès, avec une dépendance forte à la vitesse d’extension et à la cohérence des communications CSRD des clients des établissements financiers.

Marc IrubetagoyenaResponsable du Stress Testing et Financial Simulations - BNPP
Anne-Claire DucrocqResponsable reporting ESG - BNP PARIBAS
Maxime DruaisResponsable projets transition énergétique - BPCE
Mickael PlanchetExpert réglementaire
Adlen BouchenafaPartner
Nicolas RenousDirecteur
Sandy HuetDirecteur associé