Les enjeux de l’ouverture à la concurrence

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Un article de Julien DUGUÉ, partner, TNP, et Nadia BENAOUDA, manager, TNP, paru dans le livre blanc « La révolution des mobilités ».

L’ouverture à la concurrence dans les transports s’inscrit dans une dynamique européenne visant, outre la libéralisation du marché, à améliorer la qualité de service et l’efficience économique du transport. Selon les segments du marché, elle peut être réalisée selon deux modèles. D’une part, le marché conventionné, où les opérateurs sont retenus pour l’exploitation d’un service public sur un périmètre et une période définie (c’est le cas des lignes de trains régionaux (TER) en France, ou des transports en Ile-de-France). D’autre part, le service librement organisé (SLO) ou «open access»: Plusieurs opérateurs proposent librement des services sur un même marché (les TGV en Italie ou, plus récemment, en France sur certaines liaisons à grande vitesse avec l’arrivée de Trenitalia et de Renfe).

La transformation dans les pays européens

Si la France mise sur une ouverture progressive, région par région, d’autres pays ont adopté des approches différentes. L’Allemagne a opté pour un système de distribution unique au niveau national, permettant une meilleure lisibilité, plus immédiate, pour les usagers. L’Italie a ouvert à la concurrence les trains à grande vitesse en open access dès 2012, avec un fort développement de l’opérateur privé Italo aux côtés de Trenitalia. Le Royaume-Uni, après une libéralisation totale rapide, est revenu en arrière avec un modèle plus encadré suite aux difficultés rencontrées (tarification complexe, qualité de service hétérogène). Chaque modèle possède ses avantages et ses limites, et la France doit tirer les enseignements des expériences européennes pour éviter les écueils rencontrés.

Les impacts pour les entreprises

L’ouverture à la concurrence représente un défi stratégique pour l’ensemble des acteurs du secteur. Les opérateurs historiques doivent reconsidérer leur efficacité pour s’assurer d’être compétitifs vis-à-vis des nouveaux entrants. Cela a des impacts forts sur leur organisation, souvent historiquement très consolidé et centralisé, pour être à même de libérer les périmètres qui seraient gagnés par la concurrence. Cette “L’OUVERTURE À LA CONCURRENCE REPRÉSENTE UN DÉFI STRATÉGIQUE POUR L’ENSEMBLE DES ACTEURS.  Julien DUGUÉ ” et Nadia BENAOUDA 43 logique prend parfois la forme de filialisation, qui entraîne une fragmentation des entités et pose la problématique de la coordination et de l’efficience des services au sein d’une même entreprise. Pour les nouveaux entrants, la concurrence est une opportunité de s’implanter sur un marché jusqu’ici inaccessible, mais ils doivent relever plusieurs défis : accéder aux infrastructures, proposer des services compétitifs face à des opérateurs historiques bien implantés et recruter les talents dans un contexte complexe de rareté de la compétence et de valorisation de certains métiers. Ces transformations nécessitent des investissements colossaux, qui ne facilitent pas l’accessibilité au marché, notamment pour cette première phase d’ouverture à la concurrence des différents marchés.

Les enjeux et leviers de la réussite

De manière individuelle, un des premiers leviers que devront savoir mobiliser les acteurs est leur capacité à innover, simplifier, industrialiser, et digitaliser leurs processus et leur service. En effet, l’émergence récente d’une nouvelle ère de technologie, de transports (mobilité durable) et d’informations (IA), seront des atouts majeurs pour gagner en efficacité et compétitivité. De manière collective, l’un des défis majeurs concerne également l’interopérabilité nécessaire entre les différents opérateurs qui est essentielle pour garantir la continuité des services, notamment pour la billettique, l’information voyageurs, et plus largement la réalisation d’un trajet bout-en-bout vue du voyageur.

Le deuxième enjeu fort, et l’un des plus sensibles de cette transformation, est l’impact humain et social vis-à-vis des salariés du secteur. Le transfert des personnels entre opérateurs, avec parfois des conditions de travail divergentes, génère des tensions. La question de l’attractivité et de l’évolution des métiers, de la formation, en particulier pour les métiers dits critiques, deviennent un enjeu central dans un contexte de forte concurrence pour recruter et fidéliser les compétences nécessaires. Cela reposera sur un accompagnement fort des salariés dans cette transition. Les acteurs historiques doivent gérer cette transformation en évitant une perte de savoir-faire, une détérioration des conditions de travail, et une dégradation de leur offre et qualité de service.

Un nouvel équilibre à construire

Avec l’échéance progressive de l’ouverture à la concurrence (bus en Île-de-France, TER, puis métro et RER d’ici 2040), le secteur va se réorganiser vers un modèle, multi-entité, multi-filialisé, segmenté par marché. Cette évolution pose des défis majeurs en termes de gouvernance, de coordination et de maintien d’une cohérence globale du service public. En effet, la fragmentation des entités et la diversité des exploitants risquent de complexifier la gestion des transports pour les usagers. Comment garantir une offre homogène et une expérience fluide dans un système où plusieurs opérateurs coexistent? L’ouverture à la concurrence est une évolution engagée, mais son succès dépendra de la capacité des acteurs à concilier compétitivité, accompagnement des transformations internes et réalisation d’un service de qualité pour un service très important dans le quotidien.

Julien DuguéPartner
Nadia BenaoudaManager