Les mutations obligatoires de la distribution automobile
Un article de Jacques CHAUVET, senior advisor, TNP, et Damien FERRARO, partner, TNP, paru dans le livre blanc « La révolution des mobilités ».
L’automobile européenne fait face à une crise multiforme. Le marché des véhicules neufs stagne, tandis que les contraintes réglementaires du Pacte vert et la remise en cause des usages urbains imposent une révision des modes de mobilité. Par ailleurs, la transition vers les véhicules électriques, la concurrence chinoise de plus en plus forte, l’évolution des attentes des consommateurs et une récente politique de prix ont fait de la voiture un bien nettement plus onéreux. Début 2025, le marché européen est 20% en-dessous de ses pics historiques et les capacités de production n’ont baissé que de 5%. Face à cette situation, la distribution automobile, va devoir s’adapter. À quoi ressemblera-t-elle dans dix ans?
La concentration des réseaux : vers des groupes multimarques et une présence renforcée à l’échelle européenne
Tout d’abord, la concentration des réseaux de distribution va se poursuivre, avec des groupes régionaux forts, majoritairement multimarques, ayant pour beaucoup choisi de représenter les marques chinoises importées ou devenues productrices en Europe. Parallèlement, les succursales détenues en propre par les constructeurs vont peu à peu disparaître ou ne rester que dans les grandes villes. Ces distributeurs, parfois implantés dans plusieurs pays européens ouvriront alors leur capital pour financer leur croissance et les plus gros seront cotés en bourse, à l’instar de ce qui existe déjà au Royaume-Uni ou aux États-Unis. De plus, la structure des concessions sera aussi amenée à évoluer : les corners jusqu’ici dévolus aux différentes marques d’un même groupe verront demain des marques concurrentes exposées dans le même hall. Et pourquoi ne pas imaginer, comme dans les malls commerciaux présentant des enseignes de luxe, des stands de différentes marques automobiles réduits à des interfaces en ligne et jouxtant des centres d’essais des différents modèles disponibles à la vente?
L’évolution du portefeuille d’activités
Dans une autre mesure, le portefeuille d’activités des groupes verra la part du véhicule neuf se réduire en chiffre d’affaires et en rentabilité au profit de l’activité d’occasion, et de la vente de services associés. L’après-vente restera longtemps un apporteur de chiffre et de marge parce que l’électrification du parc (qui réduira les heures d’atelier en réparation) ne sera que très progressive; en 2025, 2/3 du parc seront encore thermiques. La baisse du véhicule neuf est quasi certaine, d’abord parce que les constructeurs souhaitent en garder le contrôle et maîtriser les données clients, mais aussi parce que la baisse du marché est structurelle. L’enjeu essentiel se concentre donc sur le véhicule d’occasion où constructeurs et distributeurs vont se livrer à une concurrence féroce, à la fois sur le véhicule d’occasion récent (buy-back ou retour de leasing), mais aussi d’avantage sur la captation du véhicule d’occasion ancien de 9 ans ou plus. Encore majoritairement centré sur les transactions entre particuliers (C to C), le marché du véhicule d’occasion est sur le point de basculer. La problématique principale réside dans le suivi à la fois du client et du véhicule. Pour y répondre, il est important de proposer un financement adapté, rapide (en trois clics) et compétitif. Cependant, un risque majeur demeure: la gestion des valeurs résiduelles, souvent trop élevées pour réduire le montant des mensualités, ainsi que l’incertitude liée à l’évolution du marché de l’occasion des véhicules électriques. Les concessionnaires seront-ils en mesure d’assumer ce risque face à des valeurs résiduelles fluctuantes et imprévisibles? Également, l’activité de remise en état, difficilement rentable, va s’orienter vers des reconditionnements partiels, sans refaire la carrosserie à neuf mais en garantissant l’état mécanique, dans des centres dédiés des distributeurs ou en sous-traitance pour éviter des coûts logistiques pénalisants. Enfin, les services de mobilité associés à la vente ou l’après-vente-assurance tels que la location, les formules d’abonnement souples, les show-rooms d’exposition numérique, le suivi personnalisé par un conseiller en ligne, les essais à domicile, le contrôle technique gratuit etc. prendront une part croissante dans l’activité des affaires.
La digitalisation et l’exploitation des données : des leviers stratégiques pour les distributeurs
La digitalisation des processus et l’exploitation des datas sera une autre opportunité pour les distributeurs. Le parcours client gardera un passage en concession, mais sera devenu essentiellement digital, y compris pour le financement. Les étapes de l’expérience client seront automatisées, tout comme les processus de gestion. Et la data, avec des systèmes informatiques en propre pour les distributeurs, sera l’outil de fidélité et de conquête majeur : marketing sur mesure, dynamic pricing, expérience immersive d’achat en ligne, banque de données sur les pannes récurrentes et maintenance prédictive, etc. Ces datas concerneront autant le client que le véhicule, de manière autonome ou en collaboration avec des start-ups, nombreuses à développer ces applications.
Une expérience client renouvelée
La distribution automobile a peu évolué et reste principalement centrée sur la négociation des prix. À l’avenir, d’autres critères deviendront déterminants dans le choix des clients, et trois d’entre eux méritent d’être soulignés. Premièrement, le choix d’un véhicule ne se fera plus seulement en fonction de la marque ou du modèle, mais en fonction du distributeur, car le moment viendra où le client privilégiera la fidélité à la réputation d’un distributeur plutôt qu’à celle d’une marque. En effet, le client optera davantage pour la qualité de service d’un revendeur que pour les atouts intrinsèques du modèle. Ce phénomène est déjà visible dans le secteur de la réparation, où la proximité et la qualité de la relation font souvent préférer un réparateur local à une concession de marque. Ce changement se développera au fur et à mesure des services proposés par les distributeurs et de la qualité de l’expérience client qu’ils offriront.
De même, qui dit voiture chère dit attentes client élevées. C’est le luxe, en tant que benchmark, qui devrait inspirer les distributeurs. Ainsi, pour un objet dont le prix peut être dix à cinquante fois plus élevé, la qualité de service dans les concessions n’est actuellement pas à la hauteur de celle dont bénéficie un client lorsqu’il achète un bijou ou un accessoire de luxe: qualité d’accueil, offre personnalisée, rapidité des rendez-vous ou du suivi en garantie, temps d’attente, pertinence 45 des informations fournies pour faciliter le choix, mise en main et explication des logiciels, etc. On verra alors le marché se scinder en deux, entre des véhicules chers vendus comme des objets de luxe et des véhicules abordables avec une expérience client standard. Toutefois, offrir au client la satisfaction qu’il est en droit d’attendre lors de l’achat d’un objet très cher deviendra un incontournable et un critère décisif dans le choix du distributeur.
Enfin, les concessions vont devoir se transformer pour réduire leur empreinte carbone, car, qu’il s’agisse de lois ou de sensibilités personnelles, le client ne tardera pas à faire des efforts environnementaux des concessions un critère de choix.
Atteindre cette qualité d’expérience client obligera les distributeurs à un effort constant de formation des équipes de vente et d’atelier. Dans un marché marqué par un fort turn-over et une pénurie chronique de compétences, il est évident que vendeurs et techniciens devront élever leur niveau de connaissances en matière d’électrification, de logiciels, de fonctionnement des aides à la conduite autonome et de service client pour des objets de luxe.
On le voit, les changements qui attendent la distribution automobile sont considérables, d’autant plus qu’ils concernent un secteur resté très longtemps traditionnel et peu innovant.
Mais les distributeurs disposent de deux atouts majeurs: ils sont adossés à des constructeurs partenaires, eux aussi contraints par ces transformations, et surtout, il n’y a pas de mobilité sans voiture. Les clients ne disparaîtront pas, mais, moins nombreux, ils seront plus exigeants. Ils choisiront d’effectuer leur achat chez le distributeur qui leur offrira l’expérience client la plus valorisante.