L’ouverture des marchés en Île-de-France aux usagers
Un article de Grégoire DE LASTEYRIE, vice-président mobilités Région Île-de-France, paru dans le livre blanc « La révolution des mobilités ».
L’ouverture des marchés des transports en commun en Îlede-France est une réalité concrète, qui s’inscrit d’abord dans le cadre du droit européen, avec pour objectif de garantir une mise en concurrence progressive des réseaux. Au-delà de cette mise en conformité légale, elle répond à des objectifs clés : améliorer durablement la qualité de service, renforcer la propreté et la sécurité du réseau, et offrir à l’autorité organisatrice des mobilités (AOM) un pilotage renforcé et plus exigeant de leurs opérateurs.
Plus de contrôle et d’exigences sur les opérateurs
L’ouverture à la concurrence en Île-de-France permet à Îlede-France Mobilités (IDFM) de fixer des critères clairs et de veiller à leur respect par les opérateurs. Là où les contrats étaient auparavant souvent déséquilibrés, limitant la capacité d’intervention de l’autorité organisatrice, IDFM dispose désormais de leviers concrets pour négocier des objectifs précis et en mesurer l’application à travers des indicateurs objectifs. La propreté, par exemple, n’est plus seulement une question de moyens engagés, mais bien une obligation de résultat, évaluée régulièrement par des enquêtes de satisfactions et des clients mystères.
Une meilleure régularité et une lutte accrue contre la fraude
Les premières délégations de service public (DSP) mises en place en IDF montrent une tendance à l’amélioration des fréquences et de la ponctualité des bus. Un autre point notable est la baisse du taux de fraude. Grâce à des dispositifs de contrôle renforcés, les opérateurs sont incités à agir, leur rémunération étant en partie indexée (environ 10 % du chiffre d’affaires) sur le respect des engagements de qualité.
Des grèves toujours présentes, mais pas plus nombreuses
Parmi les critiques adressées à l’ouverture à la concurrence en Île-de-France, figure souvent la crainte d’une multiplication des mouvements sociaux. Pourtant, l’historique montre que les conflits sociaux existaient déjà sous le régime du monopole. Sur les 35 réseaux déjà ouverts à la concurrence, seuls quelque uns connaissent des grèves ponctuelles, ce qui reste dans des proportions comparables à la situation antérieure.
Une information voyageurs modernisée
L’amélioration de l’information voyageurs est un enjeu central. L’objectif est clair : offrir une information fiable, réactive et interconnectée entre tous les modes de transport, quelle que soit l’entreprise qui exploite la ligne. Concrètement, un usager présent dans une gare doit pouvoir consulter en temps réel non seulement les horaires des trains, mais aussi ceux des bus et des trams, sans se soucier de savoir si le service est assuré par la SNCF, la RATP ou un autre opérateur. Auparavant, cette coordination était défaillante, notamment entre la RATP et la SNCF. Désormais, l’information en temps réel devient un standard, indispensable pour accompagner les voyageurs, notamment en cas de perturbation. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se tournent vers Twitter pour connaître l’état du réseau. L’objectif des nouvelles DSP est d’intégrer cette réactivité dans les systèmes.
Une fréquence accrue et une réorganisation des lignes
L’ouverture à la concurrence en Île-de-France permet, à l’occasion des restructurations de lignes, de renforcer l’offre et d’améliorer la fréquence des transports. Cela s’inscrit dans une volonté d’adapter l’offre à la demande et d’améliorer l’expérience des usagers. Auparavant, le matériel roulant était directement acheté par les opérateurs, puis refacturé à Île-de-France Mobilités (IDFM), avec des frais de gestion à la clé. Désormais, IDFM procède elle-même à ces achats, ce qui permet de réaliser des économies substantielles en supprimant les marges appliquées par les opérateurs. Certains opposants politiques avancent que la mise en concurrence a coûté 5 milliards d’euros, c’est faux ! Cette somme correspond en fait aux investissements en matériel roulant, qui étaient, quoi qu’il en soit, nécessaires. La différence aujourd’hui, c’est qu’IDFM maîtrise directement ces achats, avec à la clé un gain financier réel. Les opérateurs restent aussi responsables de la maintenance des équipements mis à leur disposition, garantissant ainsi la continuité et la qualité du service. En grande couronne, 36 délégations de service public (DSP) ont été mises en concurrence. Les premiers renouvellements interviendront dès janvier 2026. À Paris, 12 DSP sont en cours d’attribution : trois ont déjà été accordées, et les neuf restantes seront attribuées prochainement.
Quel regard IDFM porte-t-il sur le titre de transport unique piloté par la DGITM ?
Le débat sur un titre de transport unique soulève avant tout la question cruciale de la péréquation financière. À ce stade, le financement d’un tel dispositif reste flou, alors que le coût réel d’un abonnement comme le Navigo dépasse aujourd’hui 250 ¤ par mois. Aujourd’hui, les usagers disposent de trois types de titres de transport : le Navigo Classique : un pass mensuel ou annuel offrant un accès illimité aux transports et des services annexes comme le stationnement, le vélib, le covoiturage, etc.
Le Navigo Liberté+ : un pass flexible pour les usagers occasionnels, facturant uniquement les trajets effectués, avec un plafonnement journalier et le Navigo Easy : où l’on peut recharger ses carnets de tickets, principalement destiné aux touristes. Contrairement au Navigo Easy, où la perte de la carte entraîne celle des tickets préchargés, le Liberté + est rattaché à un compte, permettant de facilement bloquer la carte et d’en obtenir une nouvelle en cas de perte. De plus, il est plus économique : au lieu de payer de multiples tickets plein tarif en une journée, le tarif journalier est plafonné au prix du Navigo Jour. Face à son succès croissant, l’objectif est de dématérialiser progressivement ces titres sur smartphone, avec un déploiement du Liberté + sur iPhone et Android prévu pour le printemps, avant d’étendre cette évolution au Navigo annuel. Ce processus se fait par étapes afin d’assurer une transition fluide et maîtrisée.
Une stratégie de mise en concurrence progressive pour maîtriser la mise en concurrence des transports en Île-de-France
Île-de-France Mobilités (IDFM) a fait le choix d’une approche progressive et maîtrisée de l’ouverture à la concurrence, en commençant par les délégations de service public (DSP) les plus simples à organiser. L’objectif est double : se doter d’une expérience solide dans l’élaboration des cahiers des charges et permettre aux opérateurs de monter en compétences progressivement dans la réponse aux appels d’offres. Ainsi, la transition a commencé avec le réseau de bus, jugé plus facile à réorganiser, avant d’être appliquée progressivement aux réseaux plus complexes, notamment ceux gérés par la RATP. En parallèle, IDFM a amorcé l’ouverture des réseaux ferrés, en commençant par les infrastructures les plus simples avant d’aborder les lignes de métro et de RER. Ce processus, étalé sur 30 ans, vise à limiter les risques sociaux et organisationnels liés à ces transformations.
Une prise en compte des enjeux sociaux
L’impact social de l’ouverture à la concurrence est un enjeu majeur pour IDFM, qui veille à protéger les conditions de travail des salariés et à limiter les effets indésirables sur leur quotidien. Un exemple concret concerne les conducteurs de bus : initialement, ces derniers étaient rattachés à leur ligne, même en cas de changement d’opérateur. Mais l’expérience a montré que leur métier repose surtout sur leur rattachement à un dépôt, qu’ils connaissent et fréquentent au quotidien, indépendamment du parcours de la ligne qu’ils desservent. Or, lorsqu’un nouvel opérateur reprend une ligne, il peut décider de réorganiser les dépôts, obligeant certains conducteurs à parcourir bien plus de distance pour rejoindre leur lieu de travail. Un dépôt autrefois situé à 2 km de chez eux peut soudainement se retrouver à 25 km, allongeant considérablement leur temps de trajet et impactant leur quotidien. IDFM a donc obtenu que ce rattachement soit modifié, le conducteur étant désormais rattaché à un seul et même dépôt. Cette adaptation vise à garantir des conditions de travail stables et équitables, limitant les impacts négatifs sur la qualité de vie des salariés.
Un modèle de financement et de gestion adapté
En Île-de-France, Île-de-France Mobilités (IDFM) conserve un rôle central dans la collecte et la redistribution des recettes. Les revenus des titres de transport sont perçus par les opérateurs, mais intégralement reversés à IDFM. Ce modèle permet de garantir une maîtrise publique du financement tout en assurant une rémunération équitable des exploitants, proportionnelle à leur activité réelle sur le réseau.
Vers un cercle vertueux de la mise en concurrence
En mettant fin aux situations de monopole, l’ouverture à la concurrence en Île-de-France favorise l’amélioration continue de la qualité de service et responsabilise pleinement les exploitants. Un opérateur qui ne respecte pas ses engagements s’expose à perdre sa délégation de service public (DSP), ce qui constitue un levier puissant pour maintenir un haut niveau de performance. En cas de mauvaise gestion, aucune compensation financière n’est prévue pour l’exploitant. Seules des circonstances exogènes imprévisibles pourraient justifier un soutien de la part de l’AO. Enfin, la mise en concurrence combinée à la tarification unique des transports en IDF (coûtant 30 millions d’euros annuels) devrait renforcer l’attractivité du réseau et accroître la fréquentation, générant ainsi des recettes supplémentaires à moyen terme. L’ouverture à la concurrence des transports en commun franciliens se présente donc comme un chantier ambitieux, mais minutieusement orchestré pour conjuguer efficacité économique, performance des services aux usagers et respect des enjeux sociaux.