Les modèles de distribution du luxe de demain 

IAB Jesel

Un article de Hubert Jesel, directeur associé, TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »

 

Le retail, le wholesale, le e-commerce, les marketplaces incarnent les modèles traditionnels de distribution du luxe. Ces canaux sont complémentaires et ont vocation à interagir en bonne intelligence. Avec la pandémie de Covid-19, l’accélération de la digitalisation de l’expérience d’achat et des événements de marque s’est imposée. Alors que la part des ventes de luxe via Internet était de 12% en 2019, elle a presque doublé en un an pour s’établir à 23% en 2020. Désormais, la recomposition des modèles de distribution vise à intégrer les ventes en ligne et les ventes physiques.

 

Des modèles diversifiés

Le retail, ou vente au détail, a connu plusieurs évolutions au fil du temps, avant que les boutiques de luxe se transforment en lieux de vie et intègrent le digital dans le processus de vente.

  • La première phase a consacré les boutiques comme le maillon central de la stratégie de distribution des produits. Les marques ont multiplié le nombre de points de vente, le plus souvent de petite ou moyenne taille, en s’adaptant à l’évolution des zones de chalandise.
  • La deuxième phase a été marquée par un arrêt de la course au nombre de points de vente. Les boutiques sont devenues plus spacieuses, plus rentables et ont été implantées dans des emplacements haut de gamme. Elles sont également devenues muséales, ce qui a provoqué un effet intimidant pour certains clients.
  • La troisième phase se caractérise par des points de vente plus chaleureux, plus vastes, en moins grand nombre et dans lesquels les clients ont envie d’entrer. Les marques veulent maîtriser leur réseau de distribution et l’utiliser comme un vecteur de communication. L’archétype est le «flagship» Gucci de Florence, qui regroupe dans le même palazzo un point de vente, un musée dédié aux plus beaux modèles de la marque, une librairie d’art et un café.

Le wholesale, ou vente en gros, regroupe les enseignes indépendantes qui achètent leur stock de produits auprès des marques, puis vendent les articles à leurs clients en respectant certains codes. Ces entreprises partenaires permettent aux marques de générer rapidement de la trésorerie et de développer une empreinte géographique sans investir dans un réseau de boutiques en propre. En contrepartie, les marques acceptent des marges moins importantes et l’absence d’accès direct aux clients.

Cependant, le déploiement des marques par le biais des revendeurs est plutôt en régression et le modèle des grands magasins multi-marques est remis en cause, notamment après les déboires de Neiman Marcus et de Macy’s aux Etats-Unis.

Le e-commerce, ou vente en ligne, est souvent assimilé à du retail digitalisé. Les sites Web de la plupart des marques se sont transformés en sites marchands. Ils proposent aux clients une partie de leur catalogue de produits et de nouvelles expériences grâce à des applications digitales ludiques. Le e-commerce est le modèle de distribution le plus rentable. Il permet aux marques d’avoir un accès direct aux données des clients.

Toutefois, même si les sites e-commerce présentent l’ensemble de la gamme de produits, ils visent prioritairement des ventes de produits dont le prix est accessible. Pour les produits dont le coût est plus élevé, le lien émotionnel entre les clients et la marque est souvent nécessaire et les ventes assistées en boutiques restent le modèle.

Les marketplaces, ou plateformes multi-produits et multi-marques, sont gérées par des experts du digital. Elles ambitionnent de devenir les partenaires indispensables des marques dans le but de leur apporter de nouveaux clients. Les espaces consacrés au luxe sur les marketplaces drainent un trafic considérable, par exemple Luxury Pavillon et Luxury Soho chez Alibaba, Toplife chez Farfetch… Les produits vendus sur les marketplaces ne sont pas toujours les mêmes que ceux commercialisés sur les sites marchands des marques ou dans les boutiques. Il s’agit parfois de produits des précédentes collections, de produits de seconde main ou de produits restant dans les stocks.

Cependant, les marketplaces peuvent entraver l’accès des marques aux données des clients et altérer leur image. Par exemple, certaines plateformes dopent leurs ventes en organisant des promotions régulières, procédé auquel le luxe se refusait jusqu’alors.

 

De nouveaux modèles de distribution

Le luxe est en pleine transformation. Le comportement des clients évolue rapidement et oblige ce marché à se remettre en question. Les marques ont perdu en partie la maîtrise de leur image en raison de l’influence croissante des réseaux sociaux et des influenceurs. En outre, elles ont pris conscience que la Chine représentera la moitié des ventes mondiales de produits de luxe avant 2025. L’un des enjeux pour les marques est la connaissance des clients, avec lesquels il est essentiel d’établir un lien direct. Ainsi, de nouveaux écosystèmes de distribution apparaissent dans le cadre de schémas assemblant les modèles existants.

  • Un premier modèle est centré sur le retail augmenté. L’une des marques les plus célèbres au monde, Chanel, a signé un partenariat technologique avec le site de mode britannique Farfetch. Les deux entreprises ont regroupé l’expertise de Chanel dans la vente de détail et l’excellence numérique de Farfetch autour d’une nouvelle expérience client. Ainsi est née la cabine d’essayage en réalité augmentée, qui cumule technologie de pointe, expérience d’achat et accompagnement personnalisé. Le processus de vente débute sur un smartphone grâce à une application qui permet aux clients de découvrir l’univers de la marque et de sélectionner les produits de leur choix. Puis, il se poursuit dans la boutique après une prise de rendez-vous avec un conseiller de vente.
  • Un deuxième modèle concerne le mix entre le retail et le e-commerce, en présentiel. L’objectif est d’optimiser la cohabitation entre les boutiques, qui privilégient l’expérience clients, et le Web, qui permet de valoriser l’ensemble de la gamme des produits. La vente se réalise dans la boutique grâce à la portabilité du Web. Les points de vente sont plus petits et disposent d’un stock de produits à minima. Ils sont équipés de salons de réception, avec l’appui de conseillers de vente, l’usage d’outils technologiques, la possibilité d’essayer certains produits et le support du site marchand de la marque.
  • Un troisième modèle repose sur le mix entre le retail et le e-commerce, en distanciel. La technologie devient l’instrument privilégier de la vente. Le vendeur est dans la boutique et interagit avec le client, qui est chez lui. Ce dernier découvre les produits avec le support du conseiller de vente, via son écran et via des applications spécialisées lui permettant de les essayer. Ainsi, les boutiques intègrent le digital dans le processus de vente, avec l’aide d’un conseiller à distance.
  • Un quatrième modèle consiste à faire évoluer la gestion des wholesalers. Au lieu de vendre un stock de produits aux wholesales specialists, les marques conservent la gestion du stock qu’elles leur confient pour qu’ils puissent assurer le conseil à leurs clients finaux. L’objectif pour les marques est de récupérer une partie de leur marge et la possibilité d’accéder à certaines données des clients. Ce schéma s’adresse en priorité aux produits les plus onéreux de l’offre où les marques assument le risque de stock avec la possibilité pour elles de faire tourner rapidement de tels produits.
  • Un cinquième modèle porte sur le rapprochement entre les marques et les marketplaces spécialisées. L’exemple le plus illustratif est le récent partenariat entre Kering et le spécialiste de la vente en ligne d’articles de seconde main, Vestiaire Collective. L’objectif est de permettre aux clients de rapporter les pièces qu’ils ne portent plus, puis de les revendre sur Vestiaire Collective, après avoir été authentifiées. Ainsi, Kering colle aux évolutions du marché et réfléchit à de nouveaux modèles en matière de développement durable. Un sixième modèle est le « retailtainment ». Il s’agit d’un type de distribution (retail) qui se mélange avec du divertissement (entertainment). La finalité est d’acheter en se divertissant. À Paris, le grand magasin Le Bon Marché, propriété de LVMH, organise des spectacles chorégraphiques pendant les fêtes de fin d’année. En Chine, le « live streaming », ou diffusion en direct, est devenu un phénomène de société. Il se situe à l’intersection du « talk-show », du téléachat et du spectacle de variété, dans un pays où le rôle des stars et des prescripteurs est essentiel.

 

Un immense réservoir de croissance

Alors que le marché mondial du luxe a reculé de plus de 20% en 2020, le coronavirus a précipité les marques dans le digital. Toutefois, même à l’heure de la digitalisation de tous les canaux de vente, la part émotionnelle de la relation client demeure fondamentale. Ainsi, les Chinois, qui sont désormais la première clientèle mondiale du luxe et achètent énormément via Internet, sont plus fidèles à une marque lorsqu’ils ont un magasin à proximité. Pour fidéliser les clients et être recommandées à des tiers, les marques doivent mettre davantage d’emphase sur l’expérience. Toutes les briques de l’écosystème ont leur utilité et leur complémentarité, aucune ne peut être négligée.