Entretien avec Julien Hautemaniere, directeur de projet « Gouvernance des données et territoires » au Cerema
Pour la centième édition de votre newsletter préférée, nous donnons la parole au fondateur de DDET, qui, depuis plusieurs années, explore le monde de la donnée au service des territoires intelligents et durables. Géographe de formation, Julien Hautemaniere est aujourd’hui directeur de projet « Gouvernance des données et territoires » au sein du Cerema. Reprenons en détails.
- Bonjour Julien, peux-tu nous présenter le Cerema en deux mots ?
« Le Cerema est un établissement public, relevant du ministère du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, du ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques et du ministère du Logement et de la Rénovation urbaine. Sa vocation est d’apporter des connaissances scientifiques et techniques, des méthodologies et des solutions innovantes associant l’ensemble des parties prenantes au cœur des projets territoriaux pour améliorer le cadre de vie des citoyens.
Depuis l’année dernière, le Cerema a fait évoluer sa gouvernance et son statut pour permettre aux collectivités territoriales d’y adhérer, facilitant ainsi l’accès à son offre d’accompagnement. De la planification territoriale à la prévention des risques d’inondations, en passant par les bâtiments, les infrastructures de transports, la mer ou encore les mobilités, le Cerema dispose d’experts et de chercheurs spécialisés sur de multiples métiers. »
- Et de ton côté, quel est le programme ?
« Je fais partie de la Fabric’O, un incubateur transversal au Cerema, dont le nom lui-même est un programme à part entière : « Fabriquer, Avec les territoires, des Biens communs, en Réseau, en mode Innovation Ouverte ». Spécialisée dans la gouvernance des données pour développer des territoires intelligents et durables, la Fabric’O travaille au service de nos défis environnementaux, en appuyant techniquement des projets internationaux, nationaux et territoriaux. En plus de son équipe nationale, la Fabric’O s’appuie sur un réseau de référents situés au plus proche des territoires, qui accompagnent les projets locaux.
Au sein de ce collectif, plusieurs programmes sont menés, tels que CapaCities, une démarche d’encapacitation des acteurs publics et privés autour de la gouvernance de leurs données et du recours utile au numérique dans la construction des territoires intelligents et durables, qui a démarré depuis juin sa deuxième édition.
Car le premier prérequis demeure pour les territoires de bien expliciter leurs besoins, clarifier les impacts qu’ils souhaitent avoir avec leur projet, afin d’assurer l’alignement de leurs actions avec leur projet de territoire global. Une gouvernance des données devrait également être mise en place, clarifiant les rôles et les responsabilités de chacun, véritable socle technique sur lequel les projets métiers multiples pourront utilement s’appuyer, en objectivant leurs impacts et en aidant à la prise de décision éclairée.
Par ailleurs, il est nécessaire d’expérimenter : c’est pourquoi la Fabric’O construit un bac de prototypage au service de tous les territoires, afin de pouvoir tester concrètement des cas d‘usages, autour de multiples sujets comme l’analyse de données de comptage, la prospective scolaire, la gestion circulaire des déchets, mais aussi en croisant des données issues de différents métiers et différentes sources. Cette plateforme respectera l’état de l’art au niveau international en ce qui concerne l’interopérabilité (notamment la norme NGSI-LD). Il contribuera à la création du Jumeau de la France et de ses territoires, qui est mené en partenariat avec l’IGN et l’INRIA, et pour lequel l’Appel à Commun, lancé avant l’été, a reçu près de 200 réponses, ce qui reflète bien l’intérêt du partage des données et sa valorisation au sein d’un écosystème vaste.
Nous travaillons également à objectiver les impacts économiques, sociaux et environnementaux des projets de type « territoires intelligents ». A ce titre, une première brique a été apportée grâce au programme « Numérique responsable » soutenu par la Banque des Territoires et l’ANCT, dans lequel nous avons pu évaluer avec la méthode ACB (Analyse Coûts Bénéfices), adaptée à l’IoT, 8 cas d’usages différents. Cette expérimentation montre que les retours sur investissement (ROI) peuvent être élevés, économiquement comme environnementalement, et ce, dès les premières années. Ces évaluations sont très utiles pour avoir un discours rationnel sur comment le numérique peut être un outil au service de la transition écologique, au-delà des postures « pro » ou « anti ».
Mais les projets qui ambitionnent le croisement de multiples données, de type plateformes de données, ne seront efficaces que si les sources de données sont capables de les alimenter et si elles peuvent être liées entre elles.
Or les efforts nécessaires pour collecter, transformer et valoriser dans les meilleures conditions les données issues des diverses sources de données sont encore considérables car il n’y a pas de standards unifiés, ni de capitalisation sur les modèles de données ou les connections développées.
Le Référentiel Général d’Interopérabilité (RGI), cadre français de recommandations référençant les normes et standards favorisant l’interopérabilité des systèmes d’informations, ne répond plus complètement aux enjeux des collectivités et aux sujets contemporains autour des plateformes de données, hyperviseurs, jumeaux numériques et autres espaces communs de données. Au regard des multiples projets qui émergent partout sur le territoire, une réflexion doit être menée pour mettre en place un «Plan national sur la souveraineté et l’interopérabilité des données », en lien étroit avec les différentes initiatives européennes sur le sujet : l’European Interoperability Framework (EIF et sa déclinaison pour les smart city le EIF4SCC), les mécanismes minimum d’interopérabilité (MIMs), la Toolbox européenne et notamment l’EDIC LDT (Local Digital Twin) Citiverse, dont le Cerema est membre fondateur, représentant de la France au sein de cet EDIC.
Enfin, la Fabric’O s’implique également au niveau international avec l’animation depuis 2015 des travaux liés à l’élaboration de la norme ISO 37101 « Développement durable au sein des communautés territoriales — Système de management pour le développement durable. » La révision en cours de la norme est l’occasion de dynamiser l’intérêt des collectivités pour cette norme et d’y intégrer notamment les enjeux autour des territoires intelligents, afin de favoriser leur adaptation aux changements climatiques. »
- Quel est l’apport de l’IA dans ton métier ?
« Les conditions ne sont pas encore toutes réunies pour exploiter toutes les potentialités de l’IA au service des collectivités. En revanche, le sujet est à l’ordre du jour de la majorité des acteurs publics en France, l’intérêt pour le travail au quotidien est visible par tout un chacun (transcriptions de réunions, synthèses, benchmark, traductions, etc.).
Les premiers cas d’usage métiers qui intègrent l’IA ont vu le jour, et le sujet est vu comme une opportunité d’augmenter l’efficacité de nos politiques publiques. Au sein du Cerema, nous expérimentons avec l’Ademe le service « Sofia », qui nous permet d’avoir des réponses en langage naturel basées sur toute la documentation produite par nos structures respectives. De multiples cas d’usage métiers sont également expérimentés : la prospective scolaire avec la ville de Noisy-le-Grand, la gestion opérationnelle des Risques Naturels d’origine géologique, la prédiction de comportement de dans les infrastructures de transport, ou encore dans les routes et la maintenance prédictive.
Paradoxalement, comme tous les sujets situés « en aval » dans le cycle de vie de la donnée, l’intelligence artificielle est aujourd’hui révélatrice de problématiques de qualité des données, souvent liées à une gouvernance qui est seulement en émergence, de manques d’interopérabilité dans les infrastructures déployées pour leur collecte et leur mise en qualité, sans compter les projets « marketing » dont les besoins ne sont pas assez définis. D’où le besoin régulier de requestionner les fondements des projets lancés par les différents acteurs, capitaliser sur les retours d’expérience, et évaluer avec une méthodologie solide les expérimentations lancées pour identifier lesquelles ont le plus d’impact positifs sur nos sociétés. La boucle est bouclée ! »
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