Le numérique nous aurait-il ramené au Moyen-Âge ?
Nous ne sommes qu’aux balbutiements de la révolution numérique et ses conséquences sur nos sociétés ne peuvent être toutes comprises, ou ne serait-ce qu’imaginées. Sam Altman et Yanis Varoufakis nous proposent ces derniers jours deux clés de lecture de la situation et de l’avenir qu’elle engendre. Deux lectures complémentaires dont la synthèse engage de nombreuses questions à résoudre.
Commençons par la vision optimiste. Dans un billet de blog (in english), Sam Altman déclare l’arrivée de l’ère de l’Intelligence, caractérisée par le développement de l’IA qui nous permettra d’accomplir dans un avenir pas si lointain ce qui, aujourd’hui, pourrait passer pour magie, au même titre que l’électricité jusqu’au XIXème siècle. Les nombreux avantages de l’IA augmenteront la prospérité et le partage des richesses. Mais pour cela, de grands efforts doivent être déployés pour construire les infrastructures nécessaires à sa démocratisation la plus large possible.
De son côté, Yanis Varoufakis reprend la thèse de Cédric Durand, selon laquelle nos sociétés vivent un retour de la féodalité dans laquelle le pouvoir est exercé par les grands acteurs du numérique (Techno-féodalisme, critique de l’économie numérique). L’ancien ministre de l’Économie grec désigne lui les capitalistes du cloud comme les nouveaux seigneurs, ceux qui détiennent les capitaux nécessaires à l’économie numérique, pour lesquels travaillent des techno-serfs (je travaille gratuitement pour Instagram en y postant des photos, donc en apportant de la valeur à la plateforme), et des techno-prolétaires (je suis rémunéré sur des micro-tâches numériques à la chaîne). Ce concept de techno-féodalisme signe donc la fin du capitalisme pour mieux mettre en lumière des enjeux croissants, comme la création, la gestion et la détention des données et des algorithmes.
Dans ce nouvel ordre, les revenus des seigneurs ne proviennent pas tellement des produits ou services qu’ils vendent que de l’utilisation connectée de ces services. Ainsi, Amazon loue des fiefs numériques à des vassaux qui disposent alors du droit d’exploiter économiquement le domaine du seigneur, quand Tesla capte davantage de valeur via les données comportementales relevées en permanence grâce à l’utilisation d’une voiture que par sa vente.
La dérive évidente à la lecture de ces deux propositions est de l’ordre d’un totalitarisme numérico-social, dans lequel les détenteurs du capital cloud seraient capable d’imposer leur vue sur une population nucléarisée par des IA personnalisées. Une solution évoquée par M Varoufakis relève de la socialisation des infrastructures numériques, du moins celles aux principaux impacts sur la société, comme Airbnb sur la désertification des centres-villes ou Uber sur la mobilité en ville.
Si l’expropriation reste une extrémité, le plus inquiétant tient dans le discours techno-solutionniste exprimé par le patron d’Open AI. Les écarts se creusent et les solutions technologiques apportées au fil du temps ne font jamais que reporter le problème, si ce n’est en créer de nouveaux. Car, finalement, dans sa vision prophétique, à qui appartiennent les infrastructures nécessaires au déploiement de cette IA démocratique et démocratisée ? Qui détient les données ? Comment sont gérés les algorithmes ? Autant de questions, et bien plus encore, à résoudre pour que l’ère de l’Intelligence atteigne réellement son idéal humaniste.
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