L’optimisation de la performance logistique

IAB ABello

Un article de Giulia Abello, directrice TNP et Hubert Jesel, directeur associé TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »

 

Explosion de l’offre produits, mondialisation de la production et de la distribution, omnicanalité, accélération des lancements, fast retail, volatilité des clients finaux… Les sujets supply chain (SC) sont plus que jamais au centre des préoccupations des industriels et des retailers. Le contexte caractérisé par la pénurie des matières premières, la désorganisation du transport et la prise en compte des pré[1]occupations sociétales, en particulier la réduction des émissions carbone, rajoute une complexité supplémentaire. Dans son approche consistant à améliorer la disponibilité et réduire les « lead times », tout en réduisant les coûts et les niveaux de stocks simultanément, la SC dispose d’une magnifique complexité à décoder. Le digital lui fournit des outils supplémentaires pour faire face à cette complexité en enrichissant les processus classiques. Il doit être utilisé à bon escient pour augmenter la valeur ajoutée pour les clients.

 

Les objectifs de la supply chain

Une supply chain a d’abord pour objectifs de limiter les ruptures et d’améliorer la disponibilité produit. Dans le contexte actuel marqué par une pénurie de matière première et une désorganisation du transport, elle doit en premier lieu sécuriser au mieux la disponibilité des composants. Pour y arriver, le «sourcing» doit revisiter son panel de fournisseurs, en élargir l’assiette, renforcer les relations avec les fournisseurs performants («preferred»). En outre, il doit aussi :

  • Renforcer son « sourcing » en Europe pour limiter les aléas liés au transport, particulièrement le maritime depuis l’Asie ;
  • Transmettre au « sourcing » et aux fournisseurs, la vision prévisionnelle du besoin sur un horizon moyen / long terme;
  • Ajuster avec ses fournisseurs «preferred», le rythme des approvisionnements et les conditions de paiement pour sécuriser la disponibilité produit.

Au-delà de son objectif de taux de service (le bon stock en magasin et les bonnes livraisons aux partenaires Retail specialists), la supply chain doit apporter la bonne information concernant les livraisons futures, que celles-ci soient à la hauteur ou non des engagements, et contribuer à répartir les livraisons par points de vente selon les priorités du commercial/du merchandising.

Ensuite, la supply chain existe pour réduire les stocks tant en amont qu’en aval, éventuellement en lien avec le merchandising sur la dimension assortiments.

Enfin, il s’agit de réduire les coûts (production, stockage, distribution, les coûts d’obsolescence du stock) et les délais de mise à disposition des produits. Dans le contexte actuel, garantir les capacités du transport est essentiel pour la maîtrise des délais et des coûts.

Notre expérience chez TNP nous a montré qu’il existait deux grandes familles de thématiques pour les démarches de transformation :

  • La thématique S&OP de planification transversale (Plan Indus[1]triel et Commercial en français) qui vise surtout l’amélioration du taux de service et l’optimisation des stocks, voire des délais;
  • La thématique d’optimisation de la performance logistique, qui permet la réduction des coûts et des délais.

La démarche Sales & Operations Planning (S&OP)

Fédérer : cette démarche va positionner la supply chain comme entité créatrice de valeur en pilotant les opérations comme une partie intégrante de la proposition commerciale (délais, disponibilité), tout en optimisant les ratios de gestion de l’entreprise (coût, stock).

Une démarche de type S&OP va fédérer autour de processus clés que sont la prévision du besoin ou des ventes, la politique de stock…, toutes les composantes de l’organisation de l’entreprise: le marketing développement produit et la communication, la fonction commerciale avec la gestion des réseaux physique et digital, le retail et le merchandising, la production avec les approvisionnements et la gestion des fournisseurs, la finance qui se reconnaît volontiers dans les objectifs de réduction des coûts et des stocks.

Cette démarche d’optimisation des performances commerciales et financières de l‘entreprise repose sur la planification, une compétence fondamentale, qui ne peut s’externaliser, ou très difficilement. C’est un savoir-faire des Marques.

Segmenter : en segmentant les approches, la mise en place du bon « operating model » peut paradoxalement améliorer la disponibilité produit tout en réduisant les stocks :

  • Pour les produits à fort volume, produits permanents et carry-over, c’est le flux d’information qui pilote le flux pro[1] On peut donc, à condition d’améliorer les prévisions et de dimensionner des stocks tampons adéquats, accélérer le flux d’information pour tendre les stocks sur la chaîne tout en améliorant la disponibilité des produits au point de vente. On limite aussi la péremption. Cela permet de réduire conjointement les stocks et d’améliorer la disponibilité produit.
  • Pour certains produits, privilégier des sites de finition localisés dans les zones géographiques proches des clients permet d’être réactif aux variations de la demande et aux commandes non prévues, tout en maîtrisant les coûts de transport car liés à une activité prévisible.
  • Enfin, pour d’autres produits moins prévisibles, centraliser le pilotage des flux à défaut de le régionaliser, pourra améliorer le contrôle des niveaux de composants stratégiques, améliorer la disponibilité non immédiate des produits et améliorer les informations de disponibilité. Dans le cas de produits chers dont on doit maximiser la visibilité au point de vente, il est intéressant de les faire tourner entre différents marchés : ce sont les stocks qui génèrent des ventes et non les prévisions de vente qui dimensionnent les stocks.

 

Utiliser la data pour améliorer les processus

La data et l’intelligence artificielle, éventuellement le recours à des données externes, permettent d’améliorer la performance de prévision, surtout sur les produits à fort volume. Nos expériences récentes ont montré qu’on pouvait réduire de 30% l’erreur de prévision en faisant appel à l’IA. Donc meilleur dimensionnement de stock et disponibilité améliorée des produits.

La politique de stock des points de vente peut également être améliorée et dynamisée en étant davantage en phase avec les attentes des clients, tout en conservant une compo[1]sante centrale de l’offre (ADN) : un merchandising «digitalement amélioré» au point de vente optimise simultanément le stock et le taux de service.

 

L’optimisation de la performance logistique

Redimensionner une stratégie logistique, implique les étapes suivantes :

  • Optimiser le schéma de distribution en limitant les lieux de stockage générant des ruptures de flux et des coûts d’exploitation des entrepôts ;
  • Optimiser la performance des entrepôts pour réduire les coûts et optimiser les délais de réception et de préparation des commandes. Un dimensionnement des processus et des équipes sur les étapes à valeur ajoutée permet souvent de réduire fortement les coûts ;
  • Optimiser les délais et les coûts de transport en suivant les KPIs de performance et en «benchmarkant» régulièrement les prestations de transport ;
  • Travailler à la réduction des coûts d’emballage, à l’amélioration de la densité des palettes aériennes si l’on est dans une configuration où les produits transportés ont une densité inférieure au seuil de 167 kg/m3. De tels objectifs procèdent à la fois du «redesign to cost» et du «redesign to green».

Cette démarche de recherche d’optimisation est essentielle, que la logistique soit pilotée en propre ou en sous-traitance. Elle concerne les marques qui ont leur logistique propre ou les Groupes qui jouent le rôle de «shared service center» pour leurs marques. Il est aussi possible de rentrer dans un fonctionnement où 2 à 3 prestataires «4PL» pilotent l’ensemble des prestataires avec, dans leur cahier des charges, des «incentives» sur la performance coûts et délais des prestataires pilotés. On est ainsi sur un mode de fonctionnement vertueux où l’amélioration continue est inscrite dans le mode de pilotage.

Ceci dit, l’époque actuelle se caractérisant par une désorganisation du transport appelle, en premier lieu, des logiques résilientes pour sécuriser les capacités de transport, les flux de composants et de produits finis.

D’un point de vue de la data et des outils, qu’il s’agisse de sécurisation ou d’optimisation, on peut fortement améliorer le suivi des flux avec le RTTV, le RFID, qui donnent quasi[1]ment en temps réel l’emplacement des colis. Cela permet par exemple de prioriser l’intégration des colis dans un entrepôt par rapport aux niveaux d’attente du réseau. Le suivi plus fin des colis clients à travers une «control tower» efficace permet de sécuriser et maîtriser les flux «end to end»; source de valeur ajoutée pour le client final.

 

L’optimisation combinée des deux approches

Nous avons imaginé un modèle de pilotage des stocks qui déplace massivement du stock vers les régions et concilie les objectifs suivants :

  • Réduire le délai apparent vis-à-vis des clients B2B ou finaux ;
  • Réduire les coûts (transport, stockage) ;
  • Réduire les émissions de carbone.

Pourquoi avoir davantage de stock en région Le mode de pilotage des marques a beaucoup évolué. Avant 2015, on appliquait la devise «think global, act local» et on animait un programme central avec des variations locales. Depuis 2015, nous sommes sur une gestion régionale de projets (USA, EMEA, APAC, LATAM) adaptés aux cultures locales. Les régions ont progressé en maturité pour ré-interpréter le message des marques aux réalités locales. On passe donc du contrôle et de l’obéissance à une gestion plus ouverte avec davantage d’enthousiasme.

Par ailleurs, les consommateurs voyagent moins, ce qui renforce les ventes locales (c’est à dire hors Europe). Dans ce contexte, il est naturel que les régions prennent davantage la main sur le pilotage des stocks. Donc changement de paradigme de distribution car le stock régional permet de ré[1]agir plus vite face aux changements de « trends » et donc d’écourter le délai perçu par le client B2B ou le client final B2C.

 

Quels stocks transférer vers les régions

Nous avons envisagé un transfert maritime régulier de stock vers les régions où l’on cible des produits plutôt permanents ou « carry-over », c’est-à-dire moins liés au rythme de lance[1]ment des collections. Pour optimiser la démarche, nous avons dû nous appuyer sur des prévisions de vente fiabilisées grâce à des modèles dynamiques de prévision, issus de la data science, réduisant de 30% à 50% l’incertitude de prévision des modèles traditionnels. La partie transportée par «sea freight» ne sera pas liée qu’à des références mais à des quantités particulières pour ces références: par exemple, pour une référence donnée, 800 pièces en bateau, 200 pièces en avion.

 

Le bilan à tirer est assez édifiant et montre que le bénéfice est multiple

  • Des délais certes accrus par le transport maritime mais des délais perçus par le client nettement réduits grâce à la flexibilité d’une offre physiquement implantée dans les entre[1]pôts régionaux;
  • Un modèle plus green avec réduction des émissions de carbone grâce au bateau;
  • Des coûts réduits grâce à un mode de transport plus économique ;
  • Une prévision et une planification «augmentées» utilisant la data science permettent en réalité un pilotage des flux beaucoup plus fin.

 

Conclusion

Dans le contexte actuel, il faut repenser l’ensemble du business model de distribution avec les contraintes présentes. Pour y arriver, deux leviers ou outils sont essentiels :

  • La segmentation des approches qui permet d’adresser plus finement les enjeux particuliers liés à certaines catégories de produits (produits à forts volumes, produits assemblés, produits permanents) et d’optimiser le segment en question selon plusieurs critères ;
  • La data science qui renforce la maîtrise que l’on a des flux, qu’il s’agisse d’améliorer la prévision des ventes et la politique de stock magasin, ou d’assurer la maîtrise des flux End To End (RTTV, RFID, Control Tower…)