Les technologies gagnantes pour les marques de luxe
Un article de Philippe Giry, senior advisor, TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »
Quels sont les enseignements de la crise Covid-19 ?
La crise du Covid-19 a été d’une violence inouïe, elle a frappé durement toutes les marques de luxe qui ont été challengées sur leur résilience et leur capacité de rebond. L’efficacité des plans de crise mis en place est multifactorielle, mais on observe que la technologie a souvent été un élément déterminant. Ainsi, le déploiement et la bonne utilisation d’outils d’optimisation des process internes et d’accroissement de la valeur client ont été des leviers majeurs et un point commun aux marques qui ont le mieux traversé cette crise.
La gestion des référentiels
Flexibilité, réactivité, transversalité, efficience sont plus que jamais parmi les maitres mots qui caractérisent les marques de luxe qui réussissent, mais elles ont surtout construit et structuré leurs process autour de référentiels produits, clients, fournisseurs… robustes et fiables, avec des process de gestion associés très rigoureux. Ce qui était « nice to have » est devenu vital pour répondre aux enjeux de réduction des cycles de développement produit et de conformité réglementaire dans tous les pays du monde.
Les outils déployés, ERP (Enterprise Resources Planning), MDM (Master Data Management) ou encore PLM (Product Life Cycle Management) sont devenus des composants clé du socle de leur système d’information, alimentés et utilisés par le Marketing, la Recherche, la Production, la Qualité, les équipes réglementaires, commerciales, financières… garantissant ainsi complétude et cohérence dans la durée des données de base.
La gestion des prévisions de ventes
Il s’agit d’un composant essentiel du système d’information, l’enjeu pour une marque de luxe étant plus que jamais de pouvoir capter les premiers signaux de vente et ajuster ses prévisions en conséquence quelques jours seulement après le lancement de ses nouveaux produits. Les solutions disponibles sur le marché sont des solutions de niche, et elles intègrent des technologies innovantes de type Machine Learning et Intelligence Artificielle.
Les outils de planification
Dans le contexte de frugalité actuel, ces outils sont stratégiques car ils permettent de concilier, dans une vision moyen terme, le plan de ventes et les capacités de l’entreprise pour aboutir au Plan Industriel et Commercial, par construction unique et partagé entre toutes les fonctions parties prenantes de l’entreprise. Ce plan permet d’optimiser l’utilisation des ressources, notamment les stocks, en fonction d’objectifs de vente et de taux de service clairement établis. Les outils déployés sont des outils de simulation, utilisant des algorithmes régulièrement améliorés grâce à de l’intelligence artificielle, travaillant sur différentes hypothèses de calibrage de la demande et fournissant les éléments de dimensionnement des plans de charges des unités de production et les plans d’approvisionnement correspondants. Leur mise en œuvre est délicate. Elle nécessite de beaucoup travailler sur les process, dans une approche transverse et collaborative, aux différents niveaux de prise de décision, et ce jusqu’au Comité Exécutif pour lui permettre de réaliser les arbitrages finaux.
La plateforme d’exécution des opérations
Avec l’évolution des modèles de distribution, le renforce[1]ment des besoins de traçabilité ou encore la multiplication des contraintes réglementaires, de nouveaux enjeux sont apparus. L’ERP reste le cœur de cette plateforme d’exécution mais il n’a plus vocation à tout couvrir. Sa mise en œuvre doit être au plus près du standard et vue comme une fantastique opportunité de re-engineering et d’optimisation des process ; les nouveaux outils de « process mining » peuvent s’avérer précieux pour aider à identifier les leviers d’amélioration de la performance et à structurer leur bonne activation. L’OMS (Order Management System) trouve sa place dans cet environnement d’exécution, il apporte un vaste panel de fonctionnalités, offrant à la fois flexibilité logistique et capacité à supporter le lancement de nouveaux services, en particulier dans une approche multicanale.
Les outils RPA (Robotic Process Automation) complètent le dispositif ; il faut accélérer leur déploiement, d’autant qu’ils génèrent très souvent des ROI rapides.
La plateforme digitale
Elle a permis de « sauver » l’année 2020 des maisons de luxe qui avaient déjà intégré le digital au cœur de leur stratégie, et le « catch up » est vital pour celles qui étaient en retard. Elle doit être robuste, disposer de toutes les fonctionnalités e-commerce & multicanales nécessaires au déploiement de l’offre de produits & services de la marque, proposer une expérience client du niveau de celle vécue en magasin, et son architecture doit permettre d’absorber de forts pics d’activité sans dégrader la performance. Par ailleurs, cette plateforme digitale doit impérativement intégrer les outils PIM et DAM, plus que jamais incontournables pour répondre aux besoins particulièrement sophistiqués d’une marque de luxe en matière d’information produits et d’utilisation de photos et vidéos, tout en garantissant aux ayants-droits une gestion stricte et rigoureuse des droits relatifs à leur utilisation.
Les outils permettant d’animer les réseaux sociaux, de suivre sa notoriété et de capter très en amont tout signe avant-coureur d’un « raz de marée digital » sont tout aussi critiques pour la bonne gestion de l’empreinte digitale d’une marque. C’est un domaine qui s’est beaucoup complexifié ces dernières années, avec régulièrement de nouvelles solutions disponibles en mode SaaS ; leur mise en œuvre est généralement rapide et aisée.
L’impact des réseaux sociaux sur le « business » a changé d’échelle, en particulier avec le développement d’écosystèmes tentaculaires, puissants et désormais incontournables en Chine, au Japon, en Corée, aux US… Ils évoluent en continu et sont devenus des environnements marchands à part entière, hyper-intuitifs pour une utilisation mobile, plébiscités par les jeunes générations et « parfaits » pour développer des campagnes de clienteling à la fois ciblées et qualitatives; c’est l’ère du «social commerce».
Enfin, il faut citer le « live stream shopping », qui a explosé en Chine et qui est d’ores et déjà expérimenté par toutes les grandes marques de luxe.
La plateforme Data
C’est la plateforme qui va faire la différence sur les 5 prochaines années, en particulier dans son usage orienté client. Une plateforme data client doit permettre :
- De capturer en temps réel toutes les données d’interaction entre le client et la marque, et de navigation sur les différents sites pour construire et alimenter une vue client 360 omnicanale;
- De les analyser de façon dynamique à des fins de modélisation et de segmentation ;
- Et d’utiliser ces résultats dans une démarche d’activation pour optimiser le «retargeting media», alimenter les différents outils CRM et solliciter de façon personnalisée le client par le bon canal, au bon moment et avec le bon message.
Les technologies de data science sont une composante clé de cette plateforme, et les environnements cloud Google, Microsoft ou Amazon sont à considérer en priorité pour sa construction ; elle doit par ailleurs intégrer de nombreux connecteurs pour interopérer avec les plateformes média et réseaux sociaux.
La démarche de mise en œuvre d’une plateforme data est très spécifique : elle doit être « tirée » par les «use cases», d’abord itérative et de type «test and learn» avant de donner lieu à un travail d’industrialisation des use cases qui le justifient pour sécuriser dans la durée la captation des gains correspondants.
Enfin, il est critique de prêter une attention particulière aux différentes réglementations en vigueur partout dans le monde (GDPR, …) et d’en garantir la parfaite conformité des solutions développées.
La plateforme Retail
Les fonctionnalités purement Retail sont disponibles dans la plupart des plateformes, ce sont sa capacité d’intégration pour supporter des fonctionnalités multicanales, le support de la mobilité en magasin et, dans une moindre mesure, les possibilités de son mode dégradé « autonome » qui sont devenues déterminantes dans le choix d’une solution Retail.
Les outils de service client et de clienteling
Les outils mis à disposition des conseillers clients des centres d’appels permettent, pour l’essentiel, d’accéder au référentiel client et de l’enrichir des résultats de leurs appels mais la crise Covid-19 a fait émerger une nouvelle forme de relation à distance entre les conseillers de vente et leurs clients : c’est le clienteling qui consiste à leur envoyer sur leur mobile des offres personnalisées générées à partir de la plateforme Data.
Ces nouvelles techniques de vente sont prometteuses et peuvent permettre de générer un revenu incrémental significatif, elles ont vocation à s’inscrire durablement dans l’outillage à disposition des forces de vente.
Les outils de Business Intelligence
Ils doivent être sélectionnés à l’aune des choix réalisés pour la plateforme Data. Les plateformes Business Intelligence de demain seront des architectures « cloud natives » auxquelles seront connectés des outils « live analytics », avec des fonctionnalités modernes et puissantes de data visualisation, data exploration et data storytelling.
La place de l’innovation
L’innovation technologique reste un levier intéressant mais elle ne peut apporter de la valeur que si toutes les conditions sont véritablement réunies : sponsorship au plus haut niveau, moyens alloués suffisants, niveau d’attente raison[1]nable, bonne articulation avec les autres activités afin d’avoir plus de cohérence, de contribution, d’impact…
Dans l’industrie du luxe, les technologies de type « réalité augmentée » sont assez largement expérimentées. Qu’il s’agisse de maquillage virtuel ou d’essayage virtuel, dans une boutique ou sur internet, elles permettent de visualiser le rendu du produit et leur contribution à l’amélioration de l’expérience client est indéniable. Demain, d’autres applications vont arriver à maturité, notamment l’intelligence émotionnelle qui ouvre de nouvelles perspectives.
Et la Chine
La Chine a développé un écosystème technologique très en avance sur le reste du monde, tiré par les usages et la demande massive des consommateurs chinois, dans une logique « mobile first ». Les marques de luxe doivent impérativement le comprendre et le maîtriser, à la fois pour répondre aux attentes de leurs clients chinois, mais également pour s’en inspirer et les aider à prioriser et structurer leurs initiatives dans d’autres pays.
Par ailleurs, la réglementation locale et en particulier la CCSL (China Cyber Security Law), très contraignante, oblige à localiser en Chine la quasi-totalité des infrastructures IT.
Enfin, les grands opérateurs chinois, notamment Alibaba et Tencent, ont une empreinte globale et sont devenus incontournables ; tous les acteurs de l’industrie du luxe doivent les intégrer au même niveau que les GAFA dans l’élaboration de leur stratégie digitale et la mise en place de grands partenariats.
Et demain
La technologie sera de plus en plus au cœur des discussions dans les maisons de luxe. Au-delà du choix des solutions, de la mise en place de la bonne gouvernance ou de la construction des « business case », ce qui fera la différence, c’est la qualité du design de l’architecture et la capacité des marques de luxe à internaliser les compétences clé, en particulier les expertises technologiques.
L’avenir est aux architectures cloud, ouvertes et interopérables, construites autour de plateformes spécialisées, complétées par des solutions « Best of Breed », facilement intégrables dans des écosystèmes tiers, notamment pour favoriser l’innovation. Les maisons qui gagneront l’auront compris et mis en œuvre, elles sauront faire preuve de flexibilité et de réactivité, dans un monde où la durée de vie des solutions sera de plus en plus courte, où les cycles de renouvèlement vont continuer de s’accélérer et où il faudra aller chercher très vite la valeur Business attendue